Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 40.djvu/136

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

improvisation sur la mort de Garibaldi, on admire avec quelle souplesse l’orateur se met d’emblée à la portée de son public.

Il y avait chez ce rebelle au tempérament si aristocratique un tribun du peuple que les circonstances ont laissé dans l’ombre. Fort heureusement, du reste. A perdre Carducci, — ne fût-ce que l’espace d’une législature, — la poésie eût trop perdu. Indignation, sarcasme, enthousiasme, le poète-orateur joue de tous ces ressorts avec un sûr instinct. On a reproché à ses discours politiques de n’être point assez fortement pensés, on a tourné en ridicule leur sonorité un peu vide. Mais l’éloge funèbre de Garibaldi n’eût rien gagné à être plus contenu, et tels discours sur des sujets populaires eussent produit un effet moins poignant à être plus solidement documentés et plus sobrement écrits. Dans ses polémiques, — Carducci passa sa vie en disputes, — l’érudit reprend ses droits. On peut tenir le parti de ses adversaires, on peut être avec Rapisardi ou Bonghi contre Carducci : il n’en faut pas moins rendre hommage à la variété de ses argumens, à sa furia dans l’attaque et à son aisance dans la riposte. La prose de Carducci polémiste est autre chose encore que sa prose d’historien et son éloquence d’orateur politique. Comment n’être pas ébloui par les aspects multiples de ce brillant génie et qui doit uniquement à son caractère italien, rien qu’italien, d’avoir été si peu connu en dehors de son pays ?


On aperçoit tout le long de l’histoire italienne deux courans spirituels aux flots distincts, plus ou moins impétueux selon les siècles : le courant classique et le courant chrétien. Manifestes dans l’histoire, ces deux courans, ces deux tendances s’observent aussi dans la littérature. Il y a Dante et il y a Machiavel. Au grand œuvre du Risorgimento l’idéal classique et l’idéal catholique ont tous deux participé. Leopardi et Foscolo incarnent le premier, Manzoni et Pellico le second. Par toutes les libres de son être moral, Carducci appartient à la filiation classique. Il procède de l’antiquité helléno-romaine et de cette Renaissance du XVe siècle, qui fut, au sortir du moyen âge, un retour éperdu au naturalisme païen sur le sol où il tenait encore par mille racines.

Professeur vénéré ayant vu passer sous ses yeux deux générations d’élèves, Carducci a façonné un grand nombre de jeunes esprits, mais il n’était pas dans son caractère de fonder une école