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Héros, héroïque, héroïsme, ces mots reviennent constamment chez Carducci. Sa poésie est animée d’un souffle militaire et chevaleresque ardent. Il voit dans la guerre une fatalité éternelle et dont notre âge n’a pas à rougir. Si épris qu’il soit de liberté et de justice, il répudie l’utopie « humanitaire, » la chimère millénaire chère au cœur des révolutionnaires contemporains. Il a été mêlé de trop près aux luttes du Risorgimento pour jamais admettre que la guerre soit un fléau, condamnable absolument. L’unité italienne s’est faite par les armes. Elle se maintiendra, elle s’achèvera par les armes. Avec ce goût qu’il avait pour la violence, Carducci s’est expliqué là-dessus dans une ode célèbre et qui fit grand bruit. Comme un congrès de la Paix tenait à Rome ses fraternelles assises, le Tyrtée italien protesta en lançant dans le monde une pièce de vers où la guerre était appelée une « fatale et sublime folie. » Ses ennemis ne manquèrent pas de rappeler cette définition indulgente quand il fut question d’attribuer au poète le prix Nobel. Elle faillit lui coûter cette distinction suprême. L’injustice eût été criante. Pour peu qu’on réfléchisse, en effet, on comprendra qu’un Italien de bonne race, un patriote appartenant à la génération de Carducci ne pouvait tenir un autre langage. Entre 1820 et 1870, il était moralement impossible aux Italiens dignes de ce nom de professer le « pacifisme. » La « fatale et sublime folie » avait encore un rôle à jouer.

On voit à tout ce qui précède combien l’inspiration de Giosuè Carducci est jalousement nationale. Une fois, une seule fois, il a délaissé quelque temps l’autel de la patrie italienne pour suivre des dieux étrangers, pour tresser en l’honneur de la Révolution française la guirlande de douze sonnets intitulés : Ça ira. Ce n’est pas l’élan fraternel des débuts de la Révolution, ce n’est pas le serment du Jeu de Paume, ce n’est pas Quatre-vingt-neuf qui remplissent le poète italien d’enthousiasme, c’est 1792, c’est la Terreur, c’est le moment le plus tragique, le plus épique des temps modernes. Nous avons cité un extrait du discours où Carducci, dénonçant la décadence littéraire de notre Age, déplore la disparition de l’épopée. L’occasion était bonne de la restaurer en donnant au Ça ira la forme épique ; mais Carducci s’en est bien gardé ; d’où l’on peut conclure qu’il tient l’épopée pour une forme bel et bien condamnée. Et de fait, la poésie épique suppose un état de la civilisation aujourd’hui