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professions de foi panthéistiques ne sont pas rares dans ses vers.

Et puis, il faut bien en convenir, Carducci a énormément « évolué, » pour employer le terme à la mode. Il n’a guère moins « évolué » en religion qu’en politique, et vers la fin de sa vie, tout en restant plus latin que jamais, il avait scellé avec Dieu, avec le Dieu personnel des chrétiens, une paix définitive, une paix romaine. Il demeura en froid jusqu’à la fin avec l’Eglise, et ses obsèques furent purement civiles. Mais sous l’influence, paraît-il, de ses études sur Dante, il s’était rapproché, dès la cinquantaine, de la doctrine chrétienne. C’est exactement en 1888 que percent pour la première fois ces velléités nettement religieuses. Et c’est dans un discours célèbre, prononcé en 1894 dans la république de Saint-Marin, qu’elles se manifestèrent librement : « Dans une bonne république, déclarait Carducci en son exorde, il est encore permis de n’avoir pas honte de Dieu. » La « tyrannie des Eglises » a discrédité l’idée religieuse, mais ni les « abus des prêtres, » ni l’« arrogance des philosophes » ne pourront retrancher Dieu de l’histoire.

Et Carducci, à ses auditeurs stupéfaits, fit voir dans les accidens célèbres de l’histoire universelle une manifestation de la volonté divine. Il montra les grands libérateurs Washington et Mazzini agissant d’après le plan de l’Etre Suprême. Remontant plus haut dans les fastes nationaux, il montra la Providence effrayant en personne, si l’on peut dire, le cheval de Barberousse à Legnano. Il esquissa en un mot au point de vue déiste et italien une façon de Discours sur l’Histoire universelle. Peu auparavant le vieux Crispi avait prononcé une allocution non moins remarquée sur ce thème : Avec Dieu pour la patrie et pour le roi. Celui-là revenait de plus loin encore. Et voici que l’homme d’Etat et le poète finissaient par se rencontrer. Observons d’ailleurs qu’entre Giosuè Carducci, chantre de Satan, et Giosuè Carducci, historiographe de Dieu dans les destinées du monde, il n’y a pas cette contradiction rigoureuse qu’on a trop souvent dénoncée. L’Hymne à Satan est l’œuvre du pamphlétaire anti-catholique, le Discours pour la liberté perpétuelle de Saint-Marin est du philosophe déiste. Là s’exprimait le côté négatif, ici le côté positif de la pensée religieuse du poète. Entre ces deux manifestations du même esprit, il n’y a pas incompatibilité absolue. L’homme est d’ailleurs ainsi fait qu’après avoir douté, parfois avec allégresse, dans ses jeunes années, il éprouve le plus souvent dans la