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émue, en te tendant les brus comme à sa grande sœur, elle l’appelle, — ô Marguerite !

Et la strophe alcaïque librement née au sein des fiers tumultes, de l’aile accoutumée à braver la tempête vole vers toi, trois fois tourne autour de ta tête,

Et te dit en chantant : « Salut, ô femme illustre à qui les grâces ceignirent la couronne, et par la bouche de laquelle la charité parle un si doux langage[1]. »


Carducci monarchiste ! Le chantre de Satan devenu le chantre de la reine Marguerite ! La conversion du poète causa une sensation immense dans l’Italie entière. Cet épisode politico-sentimental s’explique d’ailleurs facilement. Rome conquise, la gauche imposant au gouvernement des lois démocratiques, les républicains avaient le droit de conclure une trêve. Combien, parallèlement à Carducci, s’éloignaient peu à peu de l’intransigeance radicale pour se rapprocher du trône ! N’est-ce pas l’histoire de Crispi ? Et puis, Carducci n’avait-il pas toujours tenu en haute estime les vertus de la maison de Savoie ? N’avait-il pas salué en Victor-Emmanuel le type du roi guerrier cher à son cœur ? En s’inclinant devant le fait accompli de la monarchie triomphante, Carducci abdiquait une préférence politique, mais il ne reniait pas un principe sacré, il ne trahissait pas la cause nationale. N’y a-t-il pas enfin, dans le cas de ce poète venant à la royauté parce que la reine était belle une harmonie supérieure propre à lui mériter l’indulgence ? Emu dans le sentiment si vif qu’il avait de la grâce et de la beauté, Carducci renonçait à une parcelle de son idéal politique afin d’obéir à un élan de son cœur d’artiste. Pour lui tenir rigueur d’un mouvement si athénien, il faudrait, en vérité, une austérité toute Spartiate ou une lourdeur d’esprit bien béotienne.

Dédaigneux des outrages que ne lui ménagèrent pas les intransigeans de la doctrine mazzinienne, Carducci persista loyalement dans son loyalisme. En juin 1882, en novembre 1884, en mars 1886, en juillet 1888, il saisit l’occasion d’affirmer à nouveau ses opinions démocratiques, mais monarchiques. En 1890, paraît le poème intitulé Piémont où il élève à la maison de Savoie un monument splendide et où il trace du roi Charles-Albert, « Hamlet triste, » un portrait magnifiquement idéalisé.

  1. Traduction de M. Julien Lugol (Giosuè Carducci : Odes barbares. Paris, 1888, page 84).