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aveu, à fonder des républiques « où la révolution était la forme permanente de l’Etat. » Adolescent, l’Italie unifiée dont il rêvait était une Italie républicaine ; mais il mettait sagement l’idée unitaire au-dessus de tout. Aussi se rallia-t-il à la monarchie qui, dans les années héroïques 1859, 1860, 1861, travailla avec succès au triomphe de l’idée nationale. On voit Carducci exalter à cette époque la foi de Mazzini, la ruse de Cavour, l’épée de Victor-Emmanuel. Roi guerrier, Victor-Emmanuel bénéficia d’ailleurs des sympathies constantes du poète. Mais à partir de 1861, le vieil esprit républicain reprit chez lui le dessus. Il se reproche alors d’avoir cru à la monarchie. Que signifient les retards, les hésitations de la couronne ? Garibaldi est renié, Mazzini exilé. Rome demeure aux mains du Pape. Les Iambes et épodes traduisent la fureur qu’inspirent au poète ces prétendues « lâchetés. » C’est le mot qui revient sans cesse dans ses vers. « Italie, tu es lâche ! » Est-il nécessaire d’observer qu’on ne saurait voir dans ces imprécations un jugement historique ? En devenant conservatrice, en se recueillant, la jeune monarchie ne témoignait-elle pas au contraire d’un sens politique qui l’honore ? On sait quels événemens décisifs couronnèrent ce temps d’arrêt : à savoir attendre, l’Italie devait finir par tout gagner. Et pourtant, on ne saurait condamner sans appel les impatiences de Giosuè Carducci. Un poète national devait alors parler comme il le fit. Il restait dans son rôle en appartenant à l’opposition, en siégeant parmi les rebelles. En s’écriant au milieu des larmes : « Italie, tu fais banqueroute à ton idéal ! » il empêchait l’Italie de s’endormir, en effet, sur des lauriers à moitié cueillis. Il rappelait au pays qu’une portion seulement de la tâche à accomplir était accomplie.

La prise de Rome en septembre 1870 ne se produisit pas dans les conditions souhaitées par Giosuè Carducci. Et Rome, capitale du royaume d’Italie, ne ramena pas le poète à la royauté italienne. Farouche, presque hargneux, il persiste au cours des années suivantes dans son intransigeance républicaine. Puis, en 1876, Carducci caresse le projet singulier de briguer un mandat législatif. Il se présente à Lugo di Romagna et tient au peuple, quelques jours avant les élections, un discours tout débordant de civisme républicain. Carducci fut élu, mais siégea quelques jours seulement à Montecitorio. Comme on procédait au tirage au sort des députés à éliminer en leur qualité de professeurs, le nom de Carducci sortit de l’urne. Sa bonne étoile, sans doute, avait