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ont tous, les uns avec les autres, un air de famille ; mais ni Fortunio, ce Chérubin attendri, ne se confond avec ce fat de Rosenberg, ou avec Valentin, le petit-maître corrigé, ni le gamin bavard qu’est Fantasio ne se confond avec ce mondain philosophe qu’est Perdican. Et encore Musset est tout à la fois Octave et Cœlio des Caprices de Marianne : Cœlio est la meilleure partie de lui-même, et Octave la plus mauvaise ; mais chacun de nous ne trouve-t-il pas en lui ces deux natures, qui parfois se combattant et parfois se mêlant, font toujours de nous une énigme indéchiffrable à nous-mêmes ? Il s’en faut que ces personnages soient, comme leurs frères ennemis du théâtre romantique, des êtres aveugles et inconsciens, des forces qui vont. Ils s’analysent, ils se connaissent ; et si leur volonté n’est pas toujours assez forte pour changer leur conduite, ils ont du moins assez de clairvoyance d’esprit pour se juger et se condamner.

Est-ce encore dans ses souvenirs que Musset trouvait le modèle de ses héroïnes ? Il se peut. Mais la galerie des portraits de femmes au théâtre s’interrompait après ceux d’Andromaque, d’Hermione, de Monime, de Phèdre, d’Araminte, de Silvia. Elle se continue avec les portraits de femmes de Musset. Lucrèce, Marianne, Jacqueline jouent le même rôle de coquettes, mais chacune le joue à sa manière et chacune a son art de faire souffrir. Musset réalise ce tour de force, de mettre à la scène l’honnête femme : c’est Barberine, aimable et fidèle, spirituelle et bonne. Il a mis à la scène des mondaines et ne les a pas rendues trop insupportables ; des jeunes filles, et il n’en a pas fait des ingénues ! Ce sont Ninette et Ninon les romanesques, Elsbeth la résignée, Cécile de Mantes la raisonnable, Camille l’orgueilleuse. Il y a deux façons de présenter un personnage au théâtre : l’une consiste à poser son caractère dès le début et à l’y montrer jusqu’au bout, invariablement fidèle ; l’autre consiste à le faire évoluer devant nous. Musset emploie tour à tour chacune des deux méthodes et il y est pareillement expert. Barberine, Elsbelh, Cécile ne changent pas de physionomie devant nous, et Jacqueline, depuis sa première réplique à maître André jusqu’à son dernier mot à Clavaroche, est également perverse, égoïste et rouée. Mais la Marianne des premières scènes, énigmatique avec ses yeux baissés de dévote, sa vertu diablesse, et cette façon d’avertir son mari qu’on la courtise, change à mesure qu’elle s’anime à la séduction des paroles d’Octave et s’explique à nous ou se révèle à elle-même, quand elle offre son amour au jeune homme en pleurs sur la cendre de Cœlio. Aussi a-t-on pu justement signaler toutes sortes de mérites dans ce théâtre de Musset, en louer la