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quelque degré de latitude que ce soit, il y a un point de vue classique qui consiste à envisager les sentimens dans ce qu’ils ont de général, les formes dans ce qu’elles ont d’universel et d’immuable. Il se pourrait que le meilleur de l’œuvre de Musset fût précisément ce qui y relève du principe classique.

Est-il besoin de rappeler qu’il n’a jamais été dans la « grande boutique romantique » qu’un hôte de passage, un ami de rencontre, un allié d’occasion et un irrégulier ? Rien ni dans son tour d’esprit, ni dans sa formation intellectuelle, ni dans son éducation n’était fait pour marquer sa place dans l’école. Son tour d’esprit consistait d’abord à avoir de l’esprit, c’est-à-dire à n’être pas dupe. Il apercevait trop vite le côté par où les théories nouvelles prêtaient à la raillerie. Il avait fait de sérieuses humanités ; et la décadence des études classiques, au temps de la Révolution et de l’Empire, a été pour une part dans le triomphe du romantisme. Il trouvait au foyer de famille la tradition du XVIIIe siècle. Son père Musset-Pathay, le consciencieux éditeur de Rousseau, la lui avait transmise. On n’était guère favorable aux novateurs, dans l’entourage du brillant élève du lycée Henri IV, et en envoyant ses premiers vers à l’oncle Desherbiers, l’auteur des Contes d’Espagne et d’Italie éprouvait le besoin de s’excuser de ses hardiesses. La meilleure excuse en était dans ces hardiesses mêmes, ou plutôt dans leur outrance. On sentait si bien que cela était fait exprès ! Enfant gâté du Cénacle, avec cette coquetterie et ce désir de plaire qui étaient en lui, Musset avait tout de suite adopté les modes de l’endroit ; et, pour les mieux afficher, il les exagérait. Écolier qui voulait rivaliser avec ses maîtres, il s’était empressé de les dépasser. Il était révolutionnaire de toutes ses forces, avec toute l’impétuosité et l’allégresse de ses vingt ans. On voulait de l’Espagne, de l’Italie, des duels, des meurtres, de folles amours, de la violence et de la truculence : il en avait mis partout ! Visiblement, il s’amusait. Il y avait de l’ironie dans la ferveur de son imitation ; et il n’était pour s’en convaincre que de lire la Ballade à la Lune. Bientôt les épigrammes éclateront en fusées, à tout propos et sur tous les points. Aux élégiaques Musset décochera les vers sur les « pleurards, » les « amans de la nuit, » les « rêveurs à nacelle. » Aux amateurs de pittoresque et de couleur locale il dédiera les vers sur les villes « aux toits bleus, » les « blanches mosquées » et les « descriptions de minarets flanquées. » Pour les fervens de la rime ouvragée il aura les vers qu’il prend soin de rimer faiblement. Peu à peu il se détachera du groupe, et non content de s’éloigner de ses premiers amis, il prendra