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chez Vigny la noblesse d’une pensée hautaine et triste. Pour ce qui est d’Alfred de Musset, on s’était surtout occupé de peser aux balances impartiales de l’histoire ses griefs et ses torts envers George Sand, et ses mérites à l’égard de Pagello : ce n’était pas trop de quinze années pour mener à bien cette besogne minutieuse et grave. Sur ces entrefaites, voici que les ouvrages du poète sont tombés dans le domaine public. Aussitôt nous en avons vu paraître de nouvelles éditions. L’une d’entre elles porte le nom du regretté Edmond Biré[1] ; le souvenir de cet érudit, d’un si grand savoir et d’une modestie si rare, lui sera une suffisante recommandation. C’est surtout sous forme d’anthologies qu’on a entrepris, cette fois, de présenter l’œuvre de Musset à une partie du public. M. Émile Faguet, qui jadis avait analysé le génie du poète dans une de ses belles Études sur le XIXe siècle, s’inspire d’un mot fameux de Jules de Goncourt sur Octave Feuillet, et nous donne un Musset des familles. M. Paul Morillot, un professeur de l’Université connu pour l’atticisme de son goût, publie un recueil d’Œuvres choisies d’Alfred de Musset. C’est une étape dans l’histoire de la renommée de Musset, c’est son entrée dans le domaine classique.

À vrai dire, j’aurai toujours beaucoup de peine à tenir ses vers pour édifians et à ranger ses comédies parmi celles du théâtre d’éducation ; je ne vois aucune espèce de raison pour qu’on le commente dans les classes ; et je ne doute pas, que lui-même, il n’eût frémi a l’idée d’être quelque jour aux mains des pédans de collège. Mais ce n’est pas ici la question. Le mot classique a un sens plus élevé. Une littérature, en se transformant, doit conserver certains caractères qui lui sont essentiels, qui la distinguent de toute autre et qui sont en accord avec l’esprit même de la race, comme avec l’histoire de la société ; l’idéal classique est d’abord l’expression de ces caractères. Négligeant donc toutes les autres raisons que nous pourrions avoir de nous plaire à l’œuvre de Musset, nous voudrions y rechercher ce qu’un lecteur de Montaigne et de Molière, de Racine et de Boileau, de Voltaire, de Marivaux, de Chénier, y pourrait trouver de conforme à la tradition créée ou continuée par ces maîtres. En outre, et sous

  1. Alfred de Musset, Œuvres complètes, tome Ier. Premières poésies. Nouvelle édition revue par Edmond Biré, 1 vol. in-12 (Garnier). — Le Musset des familles, par M. Émile Faguet, 1 vol. in-8o (Librairie du Gaulois). — Œuvres choisies d’Alfred de Musset, par M. Paul Morillot, 1vol. in-16 (Delagrave). — Léon Séché, Alfred de Musset, 2 vol. in-12 (Société du Mercure de France). — Correspondance d’Alfred de Musset, recueillie par M. Léon Séché, 1 vol. in-8o (Société du Mercure de France).