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Dans son grand palais d’or, fumant d’encens pour lui,
L’Idole était parée. « Est-ce enfin aujourd’hui
Que je vais posséder la Déesse qui tue ? »
Lui dit-il. Elle était ainsi qu’une statue,
Droite, les seins bombés, sublime, mais ses yeux
Qui luisaient par la chambre, astres noirs merveilleux,
Semblaient dans leur orgueil aussi froids que la pierre
D’un sépulcre ; et vers lui, dont tremblait la paupière,
Elle laissa tomber ces mots : « Je t’appartiens,
Paye-toi sur ma chair, dont les trésors sont tiens. »
… Or quand l’homme, affolé d’amour, l’eut toute prise,
Elle avait dans les yeux le regard qui méprise,
Et loin d’elle poussant cet esclave ébloui,
Mais trop soumis et lâche, elle cracha sur lui.


LE BUCHER DE SARDANAPALE


Mon âme, la Mort vient, l’entends-tu dans la nuit ?
Lente elle vient, du pas de l’assassin, sans bruit,
Et l’horrible ennemie est là, près d’apparaître…
Barricadons la porte, et bouchons la fenêtre ;
Fuyons-la, fuyons-la, je ne la veux pas voir ;
Je suis lâche, j’ai peur de son royaume noir…
Hâtons-nous, et faisons comme Sardanapale :
Une heure, donnons-nous une fête royale.
De formes, de couleurs, d’accords délicieux,
Je gorgerai mes sens, mes oreilles, mes yeux…
Par le rêve, ô mon âme, exaltée et grandie,
Sache périr dans la pourpre d’un incendie,
Et d’amours embrasée, en la gloire du feu,
Alors splendidement disparais comme un dieu !
Puisqu’il te faut mourir, du moins fais de ta vie
Un festin somptueux, où tu t’es assouvie !
— Ainsi Sardanapale, en haut de son bûcher,
Devant cet ennemi qu’il entend approcher,
Hâtif, boit dans sa peur et l’horreur qui l’enivre
Toute la joie ardente et la douceur de vivre !