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que leur opposait la candidature du duc de Gênes. Serrano, sans contrarier Prim, ne le secondait point dans cette entreprise qu’il n’approuvait pas. Et parfois il ne dissimulait pas ses sentimens intimes. Il s’était rendu avec Mercier et quelques amis à la chasse, dans le vaste pavillon de Prim au Mont de Tolède. La politique était ordinairement exclue des conversations. Il n’était guère possible, cependant, que, dans l’intimité d’un pareil genre de vie, il n’y eût pas quelques instans d’abandon. Un soir que le Régent se trouva seul avec Mercier, Ardanas et Serrano Bedoya, il se laissa aller à de très libres expansions. « Jamais, dit-il, la situation n’a été plus décourageante ; je ne puis pas comprendre l’optimisme de Prim. Le pays ne veut pas un roi étranger. Il n’y avait qu’une solution pratique, c’était l’Infante, duchesse de Montpensier. Sans sortir de la famille et de la tradition, elle nous apportait sur le trône l’exemple de la moralité et de l’ordre. Maintenant, que nous reste-t-il ? Ou le prince Alphonse, ou la République. Le prince Alphonse serait une honte et un désastre ; cette famille n’a pas été chassée, elle a été écrasée par son infamie ; une fois délivrés d’elle, il serait trop cruel d’être condamnés à y revenir. Cependant, il se pourrait qu’il n’y eût pas d’autre parti à prendre ; alors, je ne m’y opposerai pas, mais je n’y contribuerai en aucune manière, et je m’en irai vivre avec ma famille, à l’étranger. La République me fait horreur quand je songe à quels hommes elle nous livrerait. Mais le fait est que nous n’avons pas d’issue, et que nous sommes menacés de la plus effroyable anarchie. » Bedoya et Ardanas approuvèrent ce langage ; Ardanas surtout insista sur la nécessité où l’on se trouverait, tôt ou tard, de revenir au prince Alphonse. On s’étonne de l’inconséquence avec laquelle Serrano repousse Alphonse « parce qu’il appartient à une race infâme, » tandis qu’il préconise la duchesse de Montpensier qui appartient à la même race. Mais ce qui est particulièrement intéressant à noter, c’est que, entre les deux solutions, Alphonse et la République, il ne signale même pas celle d’un Hohenzollern, tant cette candidature était alors inexistante, non seulement pour les masses espagnoles, mais même pour ses hommes d’Etat les plus informés. Le dilemme restait donc tel que l’avait posé le bon sens de Serrano : la République ou Alphonse. Et la République étant manifestement contraire au vœu du peuple, il n’y avait qu’à se résigner à Alphonse. Quand un gouvernement n’a qu’une issue