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III

Pendant ce temps, à Marly, l’état du Duc de Bourgogne s’aggravait. Le lundi, il avait semblé mieux. Le Père Martineau, qui résidait habituellement à Paris, à la maison professe des jésuites, pensait s’en retourner. « Je pris néanmoins, dit-il, et sans hésiter un seul moment, le parti de rester auprès de lui, lorsqu’il me demanda si je songeois à me rendre à la Maison. Je crus qu’étant aussi attentif qu’il étoit à ne demander rien d’une manière qui pût gêner, il vouloit faire entendre par ces paroles que je lui ferois plaisir de rester à Marly[1]. » Le Duc de Bourgogne était en proie en effet à de sombres pressentimens. Le mardi matin, il dit à plusieurs reprises au Père Martineau : « Mon père, je ne sortirai point d’ici. » Le Père Martineau répondit que tous ceux qui savaient sa maladie étaient en prières pour sa guérison, et le pressa « de joindre ses prières aux leurs, afin de l’obtenir, car elle étoit nécessaire au bien de l’Etat dont les intérêts lui avoient toujours été si chers. » « N’y auroit-il point pour moi de vanité, répliqua le prince, de demander à Dieu ma guérison, comme nécessaire au bien de l’Etat ? » Et le Père Martineau l’ayant rassuré sur ce point : « Eh bien, reprit-il, Dieu, qui sait les desseins qu’il a sur moi, est le maître ; je ne veux que ce qu’il veut, soit la vie, soit la mort ; qu’il décide, j’y consens. Fiat, fiat, » et, les jours qui suivirent, on l’entendit répéter souvent ces deux mots.

Dans l’après-midi du mardi, des plaques rouges apparurent en divers endroits du corps. Il eut de nouveau la fièvre. Dodard, son médecin ordinaire, s’effraya. « Il demanda du secours, » dit Sourches. Fagon, qu’on regardait de mauvais œil depuis la mort de la princesse, refusa de s’en mêler. Desmoulins, second médecin du Roi, fut appelé, mais se trouvant en présence des mêmes symptômes que lors de la maladie de la Duchesse de Bourgogne et paralysés sans doute par le souvenir du mauvais succès des remèdes essayés par eux, les deux médecins réunis n’osèrent rien ordonner. La nuit du mardi au mercredi fut mauvaise, ainsi que la journée de mercredi. Les plaques rouges disparaissaient, puis reparaissaient, mais la rougeole, car

  1. Recueil des vertus, etc., p. 160.