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des remèdes au mal, du moins d’assez larges palliatifs. Mais s’il y a eu des fraudes et si on a renoncé aux moyens de les réprimer, est-ce une raison pour augmenter le prix du sucre, comme le demande le Midi par quelques-uns de ses organes les plus bruyans, et pour porter atteinte dans la France entière aux nouvelles conditions de bon marché auxquelles tous les ménages se sont déjà habitués ? A entendre les récriminations et des dénonciations du Midi, le sucre, voilà l’ennemi ! C’est à lui qu’il faut courir sus ! Entre lui et le vin naturel, on a établi une antinomie inquiétante ! Le sucre du Nord doit payer la rançon des imprudences commises par le Midi et de la mévente de ses vins ! Nous nous demandons si cela est bien juste.

Quelques hommes sont à la tête du mouvement, un surtout, M. Marcelin Albert, vigneron ignoré hier et qui le sera peut-être demain, mais qui est devenu pour l’instant l’idole de ses compatriotes. L’enthousiasme le plus frénétique se déploie autour de sa personne. Il a organisé le comité d’Argelliers d’où est parti le signal de la campagne, et qui en a été jusqu’ici le régulateur. Nous nous plaisons à reconnaître que M. Marcelin Albert, avec quelques idées dangereuses dont il sera question plus loin, n’a pas cessé de prêcher le calme et le bon ordre, et qu’il a utilement contribué à les maintenir : mais y réussira-t-il toujours, le voudra-t-il même, et qu’arrivera-t-il lorsque le Midi s’apercevra, après le 10 juin, que sa situation n’est pas bien sensiblement améliorée ? Si M. Albert est parvenu à contenir l’effervescence des esprits, ou du moins à l’empêcher de se traduire dans les faits par des actes de violence immédiate, ses conseils de modération ne dépassent pas l’échéance fatale du 10 juin : cette date une fois venue, si le gouvernement n’a pas agi, le Midi agira. Les plus étranges confusions se forment dans les esprits, et contribuent à les enfiévrer par des souvenirs historiques qui sont malheureusement des souvenirs de guerre civile. A cet égard, les discours prononcés à Carcassonne, au meeting qui a accompagné la manifestation du 26 mai, sont particulièrement significatifs. « Tous au drapeau de défense viticole, s’est écrié M. Albert. Le Midi si fertile se meurt. Comme au temps des anciennes croisades, comme au temps où les Albigeois venaient défendre, sous les murs de Carcassonne, leur pays et leur foi, l’armée des vignerons est venue camper aujourd’hui au pied de l’antique capitale du Carcassez. Cause aussi noble, cause aussi sainte ! Nos ancêtres du XIIIe siècle tombèrent en héros pour la défendre. Viticulteurs, mes frères, vous serez dignes d’eux. Sachons le crier haut et fort : en avant pour la défense de nos droits ! Le Midi