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ils se sont donné rendez-vous. Jusqu’ici, tout s’est bien passé ; ces foules immenses sont restées calmes ; mais elles sont frémissantes, et on sent qu’il faudrait peu de chose pour qu’elles devinssent violentes. Un mot, un geste y suffiraient. L’impression que donne la lecture des journaux est celle qu’on éprouve devant un orage qui se forme : le ciel s’obscurcit, les nuages s’amoncellent, l’électricité s’amasse et on se demande anxieusement si la décharge s’abattra sur un point ou sur un autre, ou si une intervention heureuse la détournera et la dissipera. Mais, ici, sur quelle intervention compter ? Le gouvernement est impuissant à conjurer le désastre qu’on lui signale ; tout au plus pourra-t-il en atténuer les effets. Le mal, qui vient de prendre un caractère aigu, n’est pas d’hier. Ses causes sont lointaines, et là encore on pourrait parler d’imprévoyance. Le Midi a planté trop de vignes, il a fait trop de vin. Déjà le gouvernement et les Chambres ont multiplié les lois pour le protéger contre la concurrence des vins plus ou moins artificiels, et lui faciliter la vente du sien. Le résultat a été à peu près nul, quelque bonne volonté qu’on y ait mise. Il faut avoir bien forte la foi dans l’omniscience et l’omnipotence des pouvoirs publics pour croire qu’ils seront plus heureux le 10 juin ! Que peuvent-ils faire ? Quand on le demande au Midi, il répond que c’est à eux de le savoir. Il l’ignore, lui ; mais eux, est-ce qu’ils ne savent pas tout ? est-ce qu’ils ne peuvent pas tout ? est-ce que l’État n’est pas une providence ? Il suffit à l’État de vouloir : qu’il veuille donc et tout s’arrangera !

Le Midi, toutefois, a une idée, en partie juste, sur la cause principale du mal : à l’entendre, c’est la fraude, et il qualifie de fraude toute fabrique de vin au moyen du sucre. Des lois récentes ayant abaissé très sensiblement le prix du sucre, la fraude est devenue plus facile encore, plus tentante, plus rémunératrice : reste à savoir si le Midi, qui la dénonce chez les autres, en est innocent chez lui. Il sent fort bien qu’il ne l’est pas, et il le prouve en demandant un contrôle exact, sévère, inquisitorial, sur la quantité de chaque récolte, afin qu’on soit sûr désormais qu’il ne sortira pas des caves plus de vin qu’il n’y est entré de raisin. On a supprimé l’exercice, il faut le rétablir et l’appliquer à tout le monde, aux négocians, aux propriétaires, aux bouilleurs de cru. Les mesures préventives qui naguère paraissaient odieuses sont maintenant réclamées comme tutélaires, bienfaisantes, indispensables. Soit : s’il y a là, en effet, des moyens efficaces contre la fraude, on a eu tort de les supprimer ou de les atténuer, et on fera bien de les rétablir. C’est dans cet ordre de faits qu’on trouvera, sinon