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Maintenant qu’un ministre socialiste parle comme eux, et peut-être même plus sévèrement qu’eux, l’écoutera-t-on, le croira-t-on davantage ? Imprévoyance, c’est par ce mot que M. Briand a caractérisé la politique dont on s’enorgueillit depuis dix ans, mot aussi juste que celui d’incohérence par lequel M. Clemenceau a qualifié son propre gouvernement. Voilà pour le passé : quant au présent, que doit-il être ? M. Briand n’hésite pas à dire qu’il doit être avant tout employé à remettre chaque chose à sa place, l’autorité en haut, la discipline en has, et que là est la première condition du progrès. Car il est homme de progrès, bien entendu, et il a, lui aussi, toutes sortes de réformes en projet. Mais, dit-il, « lorsqu’on aura mis ce pays dans une situation déplorable, quand on lui aura fait perdre la confiance dans ses représentans républicains, quand on aura dressé contre lui les fonctionnaires de toute catégorie, que ferez-vous alors, messieurs ? quelle réforme pourrez-vous aborder avec chance de la faire aboutir ? Moi, je crois qu’il est impossible de réformer profondément dans un pays où règne l’anarchie, où règnent le trouble et la confusion : il faut de l’ordre, de la discipline et de la paix. » Ces vérités sont élémentaires ; ce sont des banalités en matière de gouvernement ; mais il y a dix ans qu’un ministre ne les avait pas énoncées, et on éprouve à la fois quelque soulagement et quelque surprise à les entendre de la bouche de M. Briand.

Nous nous sommes promis de reproduire, au moins pour aujourd’hui, ses paroles sans les commenter : nous ne lui demanderons donc pas s’il est conforme aux conditions de l’établissement et du maintien de l’ordre d’annoncer certains projets qui ne peuvent être réalisés qu’avec le concours des élémens de désordre dans ce pays, et si, tout en condamnant l’anarchie, on ne la propage pas lorsqu’on jette ces projets dans les imaginations où ils continueront inévitablement les ravages déjà commencés. Au surplus, cette question, M. Ribot l’a posée avec une incomparable autorité dans le beau discours par lequel il a répondu à M. Briand : malheureusement, ce discours de M. Ribot, qui dénonçait certaines contradictions entre les paroles et les actes, est resté sans réponse. Mais passons. Si M. Briand a déjà beaucoup appris, il lui reste encore quelque chose à apprendre. En est-il incapable ? L’avenir le montrera. On peut sans doute espérer des progrès nouveaux de la part de l’homme qui a eu le courage de dire : « Quant à moi, je suis un ilote suffisamment dégrisé pour n’avoir pas perdu le sens des nécessités politiques. » Un ilote suffisamment dégrisé : quel aveu, et peut-être quelle promesse !