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M. de Vaissière n’était point tenu de nous donner ces explications ; il suffit d’ouvrir son livre pour se convaincre qu’il répond aux exigences de la critique historique la plus sévère. S’effacer derrière les documens, se contenter de faire connaître les personnages dans de brèves notices, après les avoir identifiés avec beaucoup de discernement, leur laisser la parole sans jamais intervenir dans le débat, n’est-ce pas là le meilleur moyen de donner à une œuvre le caractère objectif ? Le travail qu’il vient de mener à bonne fin constitue, par l’ensemble de ses qualités, le modèle que pourront se proposer ceux qui entreprendront des publications du même ordre. M. de Vaissière a groupé en trente-cinq chapitres trente-cinq correspondances en respectant l’intégrité de chacune d’elles, de manière à intéresser le lecteur au sort des diverses personnes qui tiennent la plume, en même temps qu’aux événemens publics dont leurs lettres se font l’écho ; le classement qu’il a adopté lui a permis cependant d’observer à peu près l’ordre chronologique des grandes journées de la Révolution.

« L’intérêt des choses humaines, — a écrit éloquemment Lamartine, — n’est pas dans la grandeur des situations ou des événemens, mais dans l’émotion de l’âme où ces situations et ces événemens retentissent. » Cette parole, dont s’est souvenu M. de Vaissière, pourrait servir d’épigraphe à son livre : elle en résume exactement l’esprit. En maniant ces lettres d’autrefois, il a été frappé, — il nous le dit lui-même, — de « cette pénétration constante de la vie publique et de la vie privée, » de « cette réaction perpétuelle des grands événemens historiques sur d’obscures destinées. »

La première figure que nous rencontrons est celle d’un gentilhomme breton, le comte de Quélen, chef d’escadre des armées navales, qui avait pris sa retraite en 1785 et était venu se fixer à Paris. C’est de la capitale qu’il écrit à un de ses amis, le président Conen de Saint-Luc, pour le tenir au courant de ce qui s’y passe, du 20 avril 1789 au 10 février 1790. Cette correspondance nous fait assister aux assemblées électorales de la noblesse, dont les cahiers ont été rédigés par d’Éprémesnil. M. de Quélen fait l’éloge de la logique et des connaissances de droit public que possédait ce parlementaire. Le 29 août 1789, M. de Saint-Luc est informé que le sieur Chérin[1] « va être en vacances pour longtemps. » Le 13 novembre, Quélen conte l’anecdote suivante. Voulant aller au Bois de Boulogne, il fut arrêté par un

  1. Louis Nicolas-Henry Chérin (1762-1799), célèbre généalogiste, auteur d’un Abrégé chronologique d’édits, déclarations… des rois de France de la 3e race, concernant le fait de noblesse (1788).