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de Maistre : « Odia restringenda, favores ampliandi. » Cela veut dire que, dans les jugemens d’art comme dans les autres, il est bon, il est juste quelquefois que tout ce qui est favorable soit interprété en plus, et que ce qui est rigoureux le soit au contraire en moins.

Le drame, ou le conte musical de M. Dukas est avant tout et plus que tout symphonique. Il l’est premièrement par la prédominance de l’orchestre : soit par la plénitude ou la puissance, soit par la délicatesse ou la discrétion de cet orchestre tout entier. Il l’est aussi par l’expression et l’éloquence personnelle de tel ou tel instrument se détachant de l’ensemble. Et la beauté de l’orchestre ou de l’orchestration résulte moins ici d’une virtuosité pour ainsi dire extérieure, que d’une vertu profonde et comme essentielle. Symphonique, une telle œuvre l’est encore par le développement le plus « poussé, » mais aussi le plus large et le plus clair des idées musicales. Au premier acte, ce n’est point « l’air des bijoux, » c’en est la symphonie éblouissante, que nous avons entendue avec ravissement. Améthystes et saphirs, perles, émeraudes, rubis et diamans, chaque effusion de nouvelles pierreries suscite un épisode nouveau. Et ce renouvellement prestigieux des rythmes, des timbres, se concilie à merveille avec la persistance du thème. Tour à tour allegro de symphonie, adagio, largo même, ou scherzo, plus ce thème se transforme, plus il se retrouve et se ressaisit, de sorte que la variété, la mobilité de ses apparences ou de ses figures fait plus sensibles encore l’unité et la persistance de son être. Oui, c’est bien cela. Dans la musique de M. Dukas, quelque chose persiste ou demeure. Elle suit un plan très net et très ferme, cette magnifique symphonie descriptive du premier acte. Elle s’ordonne, se distribue et se construit. Elle est un édifice, une architecture, et non pas une poussière de sons.

Allons plus avant et jusqu’au fond de cet art. Là encore, même là, dans les élémens premiers, qui sont les mélodies, nous trouverons la consistance et la solidité. En cette musique, élaborée avec une dextérité surprenante, le travail ne surpasse pas la matière. Il se contente de l’orner. Les idées ou les thèmes de M. Dukas ont une valeur propre, une intrinsèque et spécifique beauté. Il en est un surtout, simplement admirable, ou plutôt admirable simplement, avant même qu’il se répande à travers l’organisme de la partition, pour l’animer tout entier : c’est la cantilène, douloureuse et poignante, des cinq filles d’Orlamonde, que chantent au premier acte, invisibles encore, les cinq petites emprisonnées.

D’autres motifs, avec plus de brièveté, n’ont pas moins de caractère