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Leur initiative allait être le point de départ de la crise la plus grave qu’eût traversée jusque-là, au point de vue diplomatique, la question de Macédoine ; elle allait faire éclater des dissentimens latens. L’Autriche et la Russie, d’une part, regardent comme « inopportun » tout projet d’extension du programme de Mürzsteg et considèrent les « puissances intéressées » comme qualifiées pour obtenir de la Porte l’exécution de réformes financières. Le comte Lamsdorff s’en explique très nettement avec M. Bompard le 1er février[1] ; ni lui ni le comte Goluchowski n’admettent que le mandat des deux puissances ait d’autres limites dans le temps que l’exécution complète du programme de Mürzsteg. Le marquis de Lansdowne, d’autre part, conteste que l’Autriche et la Russie soient fondées à « s’attribuer un contrôle financier en qualité de puissances intéressées » et revendique la même qualité pour toutes les puissances garantes de l’indépendance de la Turquie. Il va jusqu’à laisser entendre, dans une conversation avec M. Paul Cambon[2]et dans un discours à la Chambre des Lords, qu’à son avis « le mandat n’avait pas été confié aux deux puissances pour une durée indéterminée, si même il n’expirait pas à la fin de cette année (1905) et que le moment semblait venu où les autres puissances avaient le droit de faire entendre aussi leur voix ; » et il insistait sur l’extension qu’il croyait nécessaire de donner au programme de réformes en s’occupant immédiatement de la réorganisation financière et en appliquant ces réformes au vilayet d’Andrinople.

L’opposition des deux points de vue était donc manifeste et, selon leurs affinités ou leurs intérêts, les autres puissances allaient se ranger de l’un ou de l’autre parti. La Porte était naturellement informée de ces dissentimens. Il y a, dans la lettre par laquelle M. Constans résume, le 10 mai, toute l’histoire de cette crise, un petit membre de phrase significatif : « le gouvernement turc se sentit servi par les dissidences qui se manifestaient entre les ambassadeurs des autres puissances[3]. » Avec la Banque ottomane, la Porte élabora un contre-projet, grâce auquel elle espérait éluder l’acceptation du projet austro-russe ; le 3 mars, elle le communiqua à toutes les ambassades ; il n’y était plus question d’approbation des puissances intéressées ni de

  1. Livre jaune, n° 107, cf. 133, 139.
  2. Id., ibid., n° 128.
  3. Id., ibid., n° 139.