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Pétersbourg, on hésitait encore. Le comte Goluchowski et le comte Lamsdorff se rendaient compte qu’ils touchaient au moment critique à partir duquel commenceraient, pour les deux gouvernemens, les responsabilités directes ; le jour où ils assumeraient la charge de contrôler l’application des réformes, ils auraient mis le doigt dans l’engrenage. En Turquie, lorsqu’il s’agit d’intervention, on sait parfois comment on commence, jamais jusqu’où l’on ira et comment on finira. S’ils sortaient de la politique d’intégrité et du statu quo, les deux ministres devaient se demander où ils pourraient s’arrêter dans la voie de l’intervention et des réformes. Le bon accord, facile à maintenir sur un programme négatif, résisterait-il à une politique d’action ? Enfin, ne devait-on pas compter avec l’Allemagne, protectrice déclarée de l’intégrité de l’empire ottoman, rebelle d’avance à toute tentative de limitation, même partielle, de l’autorité du Sultan ?

D’Angleterre, à la veille du jour où le comte Lamsdorff et le comte Goluchowski se préparaient à se rencontrer à Mürzsteg (3 octobre) vient l’acte décisif qui va donner un nouveau cours à la politique réformatrice de l’Europe, la faire entrer dans la voie de l’intervention directe et y faire prédominer d’autres influences que celles de Vienne et de Pétersbourg. Écrivant le 29 septembre à son ambassadeur à Vienne, le marquis de Lansdowne lui prescrit, tout en donnant aux deux ministres l’assurance de l’appui et de la bonne volonté de l’Angleterre, de leur « présenter quelques indications. » Il suffit de citer quelques lignes de cette lettre pour en indiquer le ton et l’esprit : « A notre avis, écrit le ministre, nul projet ne donnera probablement des résultats satisfaisans, si son exécution est confiée à un gouverneur musulman entièrement soumis au gouvernement turc et complètement indépendant du contrôle étranger. Nous suggérons qu’il y a deux alternatives à examiner : nomination d’un gouverneur chrétien, sans attaches avec la péninsule des Balkans ou avec les puissances signataires du traité de Berlin, ou maintien d’un gouverneur musulman, assisté d’assesseurs européens. Nous nous contenterions de voir ces derniers choisis par les deux puissances. » Lord Lansdowne conseille ensuite de procéder immédiatement à la réorganisation de la gendarmerie, en invitant la Turquie à nommer des officiers et des sous-officiers européens en nombre suffisant pour s’en charger : « Nous avons appris avec regret, continue-t-il, que les