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prendrait dans des bals de Belleville, sont archi-faux… j’en ai la certitude, moi qui arrive du grand air du dehors. » Le monde de Loti, ce sont essentiellement « les rudes et les simples, qui ont leur haute noblesse eux aussi, et ne sont presque jamais vulgaires. » Il les aime, car il les connaît, il les envie peut-être, et il a mis tout son génie et tout son cœur à nous les faire connaître et à nous les faire aimer. Il y a merveilleusement réussi, et lui seul a su nous donner ce que nous attendions, ce que nous cherchions même dans certains romans naturalistes, de véritables idylles, à la fois réelles et délicates, où la fraîcheur, la poésie même des sentimens fût comme rehaussée par l’humilité des conditions et la simplicité des mœurs représentées.

Cet art si personnel et si neuf, si bien fait pour parler à l’imagination et à la sensibilité, est-il également capable d’exprimer des idées, de vraies idées, et, ce qui achève de classer les grands poètes, cet art enveloppe-t-il une philosophie véritable ? Que le mot appliqué à Loti ne fasse pas sourire. Il arrive souvent que les poètes voient plus loin et plus profondément que les philosophes de profession, et là où les formules abstraites ne peuvent atteindre, qui sait si parfois les images ne nous font point pénétrer ? Plusieurs des critiques qui ont étudié Loti, — Edmond Scherer, Ferdinand Brunetière entre autres, — ont été frappés de l’aisance avec laquelle, sans y songer, rien qu’en allant jusqu’au bout de sa sensation et en s’efforçant de la rendre, ce poète rencontrait de ces expressions fortes, profondes, toutes chargées de sens, qu’un métaphysicien pourrait lui envier et lui ravir. « Cet horizon, qui n’indiquait aucune région précise de la terre, ni même aucun âge géologique, avait dû être tant de fois pareil depuis l’origine des siècles, qu’en regardant il semblait vraiment qu’on ne vît rien, — rien que l’éternité des choses qui sont et qui ne peuvent se dispenser d’être. » Elles ne sont pas rares dans Loti les phrases de ce genre, qui impliquent et suggèrent toute une conception de l’univers et de la vie ; et cette conception, il y a peut-être lieu maintenant de s’y arrêter et de la définir d’un peu plus près.

Il y a loin sans doute du « vague panthéisme inconscient » que Loti, encore adolescent, sentait sourdre en lui dans « la contemplation continuelle des choses de la nature M à celui qui s’exhale, si je puis dire, de presque tous ses livres ; mais au fond, c’est bien la même doctrine, ici plus balbutiante, là plus