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allé chercher bien loin, au-delà des mers. C’est cette fois le pays basque, resté si original d’aspect, de langue et de mœurs, qui lui a fourni le décor de son drame, et la matière de ces descriptions, qui sont un des élémens indispensables de ses récits, et par lesquelles il excelle à entretenir notre curiosité, à reposer notre attention ; et il a su si bien, comme toujours, marier la peinture des lieux et celle des âmes, qu’on ne pourrait même concevoir que l’histoire de Ramuntcho se passât ailleurs qu’au village d’Etchézar. Ne parlons pas ici du style, qui n’a jamais été plus frais, plus souple, plus constamment inventé, plus fécond en heureuses trouvailles. Si l’on joint à cela que, sans renoncer à sa composition habituelle, laquelle est une composition essentiellement poétique, et non une composition logique, — comme celle de M. Bourget, par exemple, — Loti a cette fois fait preuve d’une entente plus complète et moins nonchalante de son métier, d’une facture plus serrée et plus ferme, on se rendra compte que l’art de l’écrivain, loin de déchoir avec les années, s’est au contraire enrichi, mûri et fortifié.

Sur ce fond commun, largement et finement brossé tout à la fois, s’enlèvent vigoureusement les personnages, dessinés de quelques traits si sobres et si justes, si suggestifs de tout le reste, qu’on ne les oublie plus. A l’arrière-plan, Itchoua, le bandit homme d’Eglise, à l’âme énigmatique et ténébreuse ; Arrochkoa, le hardi et brillant joueur de pelote, « contrebandier par fantaisie, » à « l’œil caressant et fuyant ; » sa mère, la sombre, dure et implacable Dolorès, qui colore de religion ses vieilles jalousies et ses rancunes inexpiables ; et Franchita, qui a su faire oublier par toute une vie de dignité hautaine la faute de sa jeunesse, pauvre âme troublée et douloureuse de femme trop tendre et de mère passionnée. Au premier plan, Ramuntcho, l’enfant sans père, à demi civilisé, comme Chactas, de par ses hérédités paternelles, qui se sent comme un demi-étranger au pays basque, et dont l’âme est partagée comme les croyances, mais si beau, si ardent, si généreux, et si digne d’être aimé ; et Gracieuse, sa fiancée, partagée elle aussi entre l’amour et le cloître, petite âme limpide et fraîche, où on lit comme dans un miroir, si simple, si naïvement confiante, adorable personnification de la tendresse chaste et profonde. Et entre ces divers personnages, l’action se déroule, vive et directe, par une succession de tableaux et d’épisodes qui nous font pénétrer dans