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noirs qui vont commencer après la mort des grands rêves célestes, les démocraties tyranniques et effroyables, où les désolés ne sauront même plus ce que c’était que la Prière… [La Galilée, p. 209-210.]

IV

Au lendemain d’une expérience analogue qu’il avait tentée, dans son long pèlerinage à Port-Royal, Sainte-Beuve écrivait à son ami Victor Pavie :

Vous me dites, mon cher Pavie, de bien bonnes choses et des espérances trop belles sur l’effet moral que vous attendez, de ce cours sur moi. Hélas ! il est trop certain que, s’il ne me fait pas de bien, il me fera grand mal. On ne touche pas impunément aux autels : et, en supposant que j’aie fait quelque bien autour de ma parole, on ne fait pas impunément du bien si l’on n’en reçoit au cœur soi-même. Aussi, je vous parle de ce cœur, toujours flottant, toujours repris, et qui ne se sent un peu heureux aujourd’hui que d’un plus libre rayon de printemps.

Je ne sais jusqu’à quel point, en quittant la Palestine, Loti n’aurait pas cru pouvoir s’appliquer à lui-même ces vives et douloureuses paroles. Elles eussent d’ailleurs été aussi injustes dans son cas qu’elles l’étaient dans celui de Sainte-Beuve. Il est très vrai qu’ « on ne touche pas impunément aux autels, » — on veut dire, quoi qu’en pense l’auteur de Volupté, sans quelque profit moral et même littéraire. De même que nous n’aurions pas le Port-Royal, si Sainte-Beuve n’avait pas entrepris son cours de Lausanne, de même nous n’aurions pas Ramuntcho[1], si Loti n’était pas allé en Terre-Sainte. En refaisant, sur les traces du grand ancêtre, l’Itinéraire de Paris à Jérusalem, il a trouvé quelques-uns des « motifs » d’une nouvelle Atala.

Car, comme dans Atala, le sujet de la touchante idylle pyrénéenne, c’est l’histoire de deux amans séparés par la religion, — une religion peut-être mal comprise par une mère peu éclairée. Mais Loti, tout poète qu’il est, a le goût de la vraisemblance et de la réalité prochaine. Ses héros ne sont pas entièrement des créations de son imagination, et leurs aventures ne se passent pas « dans le désert. » Il s’est avisé qu’il y a, en France même, et de nos jours, des coins aussi peu connus, et d’un exotisme aussi particulier, aussi rare, que ceux qu’il était

  1. Voyez sur Ramuntcho, dans la Revue du 15 avril 1897, l’excellent article de M. René Doumic.