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« La mère aveugle, et sans âme : » nous touchons là le fond et nous saisissons le secret de cette tristesse morne et désespérée qui se dégage invinciblement de Pêcheur d’Islande. La pensée de la mort, même fréquente, même habituelle, peut n’être point sans douceur. Si la foi religieuse s’en empare pour y mêler des idées d’immortalité, de libération spirituelle, et des espérances d’éternel revoir, elle peut devenir, une fois tombés les premiers troubles et les premières révoltes de la chair et du sang, elle peut devenir la plus apaisante, la plus réconfortante des consolations. On le sait bien en terre bretonne, et c’est pourquoi sans doute l’idée chrétienne y est demeurée si vivace, si difficile à extirper ; et Loti est trop poète, il a trop le sens pieux des « choses saintes d’autrefois » pour ne pas comprendre cette disposition d’esprit et pour n’en point tenir compte. Il s’est donc scrupuleusement conformé à la « couleur locale » en recueillant avec fidélité, avec sympathie mille témoignages de la piété bretonne : il note le grand nombre de « croix de granit, qui se dressent sur les falaises avancées de cette terre des marins, comme pour demander grâce ; » ailleurs, il représente la grand’mère Moan, dans la dernière journée qu’elle passe avec son petit-fils, entrant avec lui dans une église « pour dire ensemble leurs prières ; » il n’oublie pas non plus, au repas de noces, le touchant usage de la prière pour les morts, qui lui fournit une page d’un si saisissant effet ; et enfin, quand Gaud, lasse d’attendre le retour de son mari, se retrouve, à la chapelle des naufragés, en face d’une autre femme de pêcheur, les deux femmes, « presque haineuses » tout d’abord, finissent par s’agenouiller « près l’une île l’autre comme deux sœurs. A la Vierge Etoile de la Mer, elles disent des prières ardentes, avec toute leur âme. Et puis bientôt on n’entendit plus qu’un bruit de sanglots, et leurs larmes pressées commencèrent à tomber sur la terre… Elles se relevèrent, — ajoute l’écrivain, — plus douces, plus confiantes. » — Et cependant, une chose manque dans la représentation, d’ailleurs si fidèle, de la piété de ces humbles : l’idée d’immortalité en est absente, et la croyance assurée à un au-delà réparateur. Les héros de Loti font bien le geste de la foi ; il ne me semble pas que ceux mêmes d’entre eux qui ont été le plus éprouvés par la vie entrevoient clairement la raison dernière de ces vénérables pratiques, et trouvent, dans la pensée d’une autre existence meilleure, apaisement et réconfort. Le poète, sans le