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livre infiniment précieux, « le plus intime qu’il ait jamais écrit, » ce délicieux Roman d’un Enfant, autobiographie à peine idéalisée, semble-t-il, d’un exquis poêle en prose.

Il était le dernier né d’une famille de vieille souche huguenote, qui avait conservé pieusement les souvenirs, les traditions d’un lointain passé. « Dans l’île d’Oléron, à l’extrémité d’une petite fille ignorée, il est une très vieille et silencieuse demeure blanche… C’est de cette maison que sont partis pour l’exil, une nuit d’il y a deux siècles passés, mes ancêtres protestans. » Et les lettres des exilés, les « lettres de Hollande » existent encore, et quelques-unes d’entre elles sont signées de cette Judith Renaudin dont Loti a fait l’héroïne du seul drame qu’il ait fait jouer. Plus tard, la famille quitta l’île, et vint se fixer sur le continent. La maison où elle s’installa fut arrangée ne varietur. C’est là que l’écrivain vécut ses années d’enfance. « C’était une maison de province très modeste, où se sentait l’austérité huguenote, et dont la propreté et l’ordre irréprochables étaient le seul luxe. » Chaque soir, suivant l’antique usage des familles protestantes, le père lisait Lout haut quelques versets de la Bible ; et puis, tout le monde, y compris les domestiques, s’agenouillait pour la prière en commun. Une éducation de ce genre, même quand on doit un jour en répudier les principes, manque rarement de déposer au fond de l’âme des impressions, des souvenirs et des habitudes qui ne s’effacent plus. Pierre Loti est peut-être, de tous les romanciers contemporains, celui qui retrouve le plus fréquemment sous sa plume des images ou des citations de l’Écriture, et il est indéniable que l’homme qui a si souvent proclamé la vanité de toutes les religions et le néant de tous les symboles a gardé, malgré tout, un tour de sensibilité invinciblement chrétienne.

Tout enfant, s’il faut l’en croire, et nous l’en croyons volontiers, il avait une conscience timorée et scrupuleuse à l’excès. Il voulait être pasteur, et « sa vocation religieuse semblait tout à fait grande. » Elle ne devait point durer. De très bonne heure, la mer, les horizons lointains, les lointaines aventures attiraient, sollicitaient sa jeune âme inquiète et rêveuse. Ceci devait tuer cela. Un moment, il crut tout concilier en déclarant qu’il serait missionnaire. Cette seconde vocation allait tomber comme l’autre. Comment cela se fit-il ? Comment ce « mysticisme des commencemens, » comment cette « foi d’avant-garde, »