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Quant à nous, mon cher ami, je ne devrais vous en rien dire ; car je ne vois plus notre monde politique que de loin et à travers une petite lucarne ; je lis à peine les journaux, je n’assiste à aucune réunion et, en général même, je refuse la conversation sur les affaires publiques. Ceci tient d’abord au besoin physique que j’ai de me tenir en paix, et, s’il se peut, en liesse, et, en second lieu, à la résolution que j’ai prise, n’étant pas forcé de mettre la main à tout ce qui se fait ou se prépare, d’éviter la responsabilité du conseil. Je ne sais donc rien. Mais, n’étant ni sourd ni aveugle, je devine, et voici, en abrégé, ce qui me paraît constant. Après que le Président eut renvoyé son ministère, les chefs de la majorité se sont figuré qu’il voulait se passer d’eux et de l’assemblée et pousser jusqu’à une monarchie impériale. Ceci ne convenait ni à leur vanité ni à leurs différens intérêts de parti. Ils se sont donc tous réunis contre lui, et son ministère est tombé dans l’impuissance et la misère où vous le voyez.

Le Président, peu à peu maté par l’expérience, a fini par comprendre qu’il ne pouvait se passer de l’Assemblée ni obtenir d’elle une Révolution impériale. Il a vu qu’un nom ne suffisait pas à tout. Il est donc entré en compromis et, si je ne me trompe, quoique personne ne me l’ait dit, les termes de la transaction sont ceux-ci : de son côté, il renonce à l’Empire et ne vont marcher qu’avec l’Assemblée ; de l’autre, on lui promet une prolongation considérable de ses pouvoirs. Des deux parts on veut en arriver comme but à un changement de la constitution et à une suspension de la plupart des libertés et comme moyen on est d’accord qu’il faut amener le plus tôt possible une collision dans la rue et brusquer l’événement au milieu de la victoire. Jusque-là on est sincère. Au-delà, chacun espère bien tromper son allié. À vrai dire, ou n’est d’accord que sur la bataille. Ne soyez pas assez simple pour considérer en elles-mêmes les lois qu’on a dernièrement proposées, sur la déportation, les élections… et celles de même nature qu’on présentera bientôt, si celles-là ne sont pas un excitant suffisant, et indépendamment de cette vue qui domine et absorbe toutes les autres. Je crois qu’on finira par obtenir celle bataille si désirée et qu’on la gagnera ; mais quand je songe à toutes les complications, toutes les difficultés, toutes les déceptions et tous les périls qui sortiront du triomphe, je pense qu’il eut été plus facile et plus honnête de chercher à faire vivre la République, quoique, à vrai dire, une République