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que je lui ai données, je veux vous envoyer moi-même de mes nouvelles, quoique je ne sois guère en état de le faire. Mais je le ferai en deux mots J’ai été très malade et je suis encore très souffrant. Cependant, tout péril est passé. Il reste seulement beaucoup de malaise et une extrême faiblesse. Après avoir guéri de la maladie, il faut guérir des remèdes, ce qui est long et pénible.

Je n’ai pu vous remercier d’un travail extrêmement distingué que vous m’avez envoyé peu de jours avant ma maladie. C’était excellent et m’a beaucoup appris. Je vous remercie également de l’intéressante lettre que j’ai reçue hier de vous. Adieu, portez-vous mieux que moi ainsi que Mme de Gobineau à laquelle je vous prie de me rappeler particulièrement.

A. DE TOCOUEVILLE.


Le samedi 30 mars 1850.

Mon cher ami,

J’ai reçu hier votre lettre datée du 7 mai. Elle ne m’est point arrivée par la poste ainsi que vous sembliez me l’annoncer. Elle a été apportée par notre ami d’Avril, si j’en crois mes domestiques. Elle est donc venue par une voie sûre et c’est là l’important.

Cette lettre m’a aussi vivement intéressé que ses devancières et je vous en remercie également. Les précédentes m’avaient donné la clef de la situation, et j’avais compris le sens des derniers événemens à peu près comme vous me les expliquez. Ce sont de grands événemens, et pour la Suisse, et pour l’Europe entière, Indépendamment des effets particuliers qu’ils peuvent produire, ils manifestent de plus en plus ce mouvement de réaction qui se fait voir presque partout soit dans l’esprit des peuples, soit dans les actes des gouvernemens contre ce qui a été fait ou pensé à l’époque de 1848. Croyez que ce n’est pas un nouveau courant, mais seulement, un remous passager dans le grand fleuve qui nous entraîne ; où ? je l’ignore ; bien loin assurément de la société qu’ont vue nos parens et peut-être de celle que nous voyons nous-mêmes. Ceci, du reste, est moins applicable à la Suisse qu’au reste du continent. La Suisse, malgré la petite fièvre chronique de sa démocratie, me paraît pourvue d’une santé plus robuste et avoir un avenir plus tranquille que la plupart des États qui l’environnent.