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devant les mêmes arbres, ils rapportaient trois dessins assez dissemblables, dit-on. C’est que chaque artiste ne pose pas, sur le même grimoire, la même grille. Chacun nous fait lire, dans le même livre, une chose différente. Mais l’une et l’autre de ces choses y-étaient bien, et des milliers d’autres y sont encore que nul, jusqu’ici, ne nous a fait voir.

Si l’on doit donc s’étonner de quelque chose, en ces Salons ou dans les Musées, ce n’est pas que du champ, de la forêt, de la montagne ou de la mer, les artistes aient tiré tant de visions diverses, mais qu’ils en aient tiré si peu ; que si peu des mystérieuses harmonies que nous devinons entre les choses et nous-mêmes aient été jusqu’ici démêlées par l’art et que, malgré l’effort et la pénétration de tant d’yeux ouverts sur la Nature depuis près de six cents ans qu’il y a des fils de Giotto et qu’ils peignent,


Tant de terres encor restent à découvrir !


Ils les découvriront s’ils se penchent avec foi sur l’hiéroglyphe sacré. L’orientation nouvelle du Paysage est heureuse parce qu’elle est spontanée. Elle ne procède d’aucune théorie, d’aucune formule, d’aucune négation. Elle est née d’un regard plus attentif et plus compréhensif, « Quand je peins un ciel, moi, j’ouvre ma fenêtre ! » s’écriait superbement Horace Vernet devant l’Enterrement d’Ornans. Et Rousseau, qui était là, murmurait à l’oreille de son voisin : « Quand je peins un ciel, moi, j’ouvre mon intelligence… » — La vérité est qu’il faut les ouvrir toutes les deux et que le grand maître du Paysage moderne nous en a donné l’exemple. Français raconte quelque part qu’il a vu Théodore Rousseau « absorbé pendant de longues heures dans les fourrés de Fontainebleau, à piocher et repiocher une toile, la repeignant cent fois, si fervent, si attentif, abrité sous un chapeau de paille et un petit manteau roux en forme de cloche ; si immobile que, par derrière, on le prenait pour une ruche… » Cette image est le symbole du Paysagiste, et du Paysagiste moderne, plus humble que l’ancien et plus réservé et plus précis. C’est la condition de ses découvertes, de ses joies et de son labeur ; c’est son orientation nouvelle : en pleine nature et en méditation infinie… »


ROBERT DE LA SIZERANNE.