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courant et revient doucement à la mer jusqu’à ce qu’elle soit affrontée par la vague suivante ; comment elle escalade un îlot, fuse en morceaux d’écume blanche qui essaiment dans le ciel comme un vol d’oiseaux de mer, ou bien, le long des rochers, redescend en un réseau de filets liquides ; comment des barques, posées sur des reflets de nuages, semblent suspendues dans un firmament inférieur ; quelle particulière impression fait l’affleurement de bancs de granit, cette ossature du globe, dans la lande bretonne ; quelle lumière réfléchissent les délaissés de l’Océan, disséminés sous le ciel comme un grand miroir tombé et enfoncé en mille morceaux dans la gaine irrégulière des boues humides, à marée basse : voilà, par exemple, ce que le paysagiste d’aujourd’hui, ce qua M. Henri Rivière ou M. Harrison ou M. Roulard, ou M. Madeline dans son Port breton, marée basse, cherchent à dégager.

Un autre signe de cette minutieuse enquête est la fréquence des effets de nuit aux Salons de 1907. Ces effets sont très tentans, mais fort difficiles à reproduire, car il faut peindre le tableau de souvenir ou bien le peindre à une tout autre lumière que celle où il sera vu. Jamais, pourtant, on n’avait vu paraître tant de Nocturnes, ni si heureusement reproduits. Les recherches de Whistler et de Cazin sont continuées par une foule d’artistes qui savent donner, à la fois, la sensation de l’ombre enveloppante et la vibration du peu de lumière qui y filtre ou y frissonne solitairement.

Le plein jour n’est pas exprimé avec moins de finesse. La salle IV, avenue d’Antin, contient deux paysages d’une merveilleuse justesse de ton dans les accords les plus compliqués et les plus mystérieux, la Baie à Saint-Valery-sur-Somme, n° 212 de M. Braquaval, symphonie en gris lumineux, où le ciel nuageux fait à lui seul comme dans les marines hollandaises, tout le concert, sur l’effacement et la sourdine des terres. L’autre paysage est celui intitulé Matinée d’Août, lac du Bourget, n° 31, par M. d’Argence. Rarement, on a mieux exprimé la vibration de l’air embrasé sur les eaux chauffées de soleil, dans cette région à la fois haute et encaissée que domine la Dent du Chat, et jamais on n’a mieux donné, sur un petit espace, l’exacte graduation de tous les reflets sur une surface liquide, immobile et limpide. Nous voyons, là, l’Eau dans ses trois fonctions passives. Près du bord, dans sa fonction de transmetteur, de vitre : elle laisse