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d’ « intellectuelle, » qu’il lui faille, pour se rappeler les mouvemens harmonieux de l’animal humain et le rythme naturel de la vie, laisser là le spectacle de l’activité moderne et en appeler de la rue au musée. Mais, tant que notre paradoxale existence ploiera et déjettera les corps, émiettera et polluera les paysages, il faudra bien, pour se rapprocher de la nature vivifiante et « recréatrice » dans le vrai sens du mot, dresser des statues grecques sur des paysages antiques. Les toiles de M. René Ménard sont un repos pour les yeux dans le hourvari universel de la peinture. Elles nous rappellent les beaux soirs du temps où le monde était jeune et où il savait assez longuement contempler le golfe, la mer et la forêt pour en voir se détacher et surgir les divinités tutélaires ; et aussi ces mots de l’Anthologie : « Autrefois, seul, le berger Paris a vu, sur les montagnes, celle qui remporta le prix de beauté, mais Praxitèle l’a donnée à voir à tous les Cnidiens… » M. René Ménard fait mieux que de nous montrer la déesse un peu banale dont les musées nous imposent trop souvent la perfection pour nous faire désirer la revoir dans nos cadres modernes. Il l’évêque presque sans la peindre. Il nous montre, une nature calme, grande, recueillie, la seule où son apparition est possible, où sa rencontre serait désirable et où sa beauté simple et fruste ne serait pas méconnue.

Fidèle à ses coutumes coloristes et de plus en plus maître de son art, paraît un quatrième maître : M. Jacques Blanche. Son Portrait de Thomas Hardy est une merveille pour la franchise de sa touche et sa sobriété. L’architecte romancier qui suivit la carrière inverse de celle, de Perrault est observé, ici, avec une pénétration tout anglaise et rendu avec une simplicité de procédés toute française. C’est un guetteur guetté dans l’exercice de ses fonctions, qui sont de regarder se mouvoir les marionnettes humaines et d’en enregistrer les moindres secousses en sismographe désabusé. Presque chaque année, l’art de M. Jacques Blanche, sans cesser d’être reconnaissable, s’enrichit de quelque découverte ou se libère de quelque superfétation. Il est de ceux, très rares, qu’on n’aimerait point voir changer de route, car il tend de plus en plus à s’éloigner de tout ce qui dans son œuvre était procédé pour ne retenir que ce qui est résultat.

Ainsi, le pèlerin passionné d’art et soucieux de n’éprouver point trop de déception, qui s’est aventuré au salon de l’avenue d’Antin, trouve bien quelques oasis encore où se reposer, —