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Foscari, le firent si longtemps devant les peintres officiels de la Seigneurie, nous devons nous réjouir des choix successifs des Congrès de Versailles. On n’a jamais eu à déplorer l’apparition, sur le fauteuil transitoire où M. Bonnat les observe, de ces physionomies mouvantes et complexes, de ces âmes multiples et insaisissables qui font le désespoir du portraitiste et le jettent en des perplexités et des tentatives fatales à la plastique de son art.

Les âmes présidentielles se recommandent au peintre par leur simplicité d’expression et « s’extériorisent » avec une grande bonhomie ; l’historien ne pourrait en dire plus long que l’artiste de sa brosse rapide. On ne les imagine même pas justiciables de Lenbach ou de Burne Jones. Là, est la différence profonde entre la besogne imposée à M. Bonnat devant M. Fallières et celle des Vénitiens lorsqu’ils figuraient leurs doges agenouillés aux pieds de l’Enfant Jésus parmi des anges acrobates, — et elle est tout à l’avantage de notre peintre. Sans doute, on ne peut s’empêcher, en voyant M. Fallières, de se rappeler le portrait de Charles-Quint, du Titien, au musée de Munich : même installation dans un large fauteuil, même main droite crochant le bras droit du siège, même main gauche sur le genou, mais quelle distance entre la halte inquiète, défiante de l’Empereur et l’assiette assurée du Président de la République ! Si délié et si sûr que fût le pinceau du Titien, il n’a pu retracer les diversités de cette âme mouvante, ni les traverses de cette destinée prodigieuse. Il éveille toutes les curiosités sans les satisfaire. M. Bonnat, au contraire, bien que parlant peut-être une langue plus sommaire, exprime pleinement la mentalité de son modèle. Il rend, sans effort, la quiétude du rivage élyséen d’où son chef d’Etat semble considérer la tempête et, sans rien ajouter ni retrancher à l’objet que lui fournit la décision solennelle des assemblées, sans songer davantage à philosopher que Velazquez devant Innocent X, qu’Ingres devant M. Berlin, ou que David devant Mme Morel de Tangry et ses filles, il fixe quelque chose d’imperturbable et de définitif.

On ne se plaindra pas, non plus, si M. Lucien Simon demeure fidèle à lui-même, car s’il a fait déjà, en pleine vie parisienne, paraître l’âme des foules bretonnes, jamais il ne Ta fait plus fortement ni mieux à propos que, cette année, dans sa Grand’Messe (Finistère). Nous voilà dans l’église de Combrit, au pays des Bigoudeus, dont nous reconnaissons aux têtes des petites filles