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force que le médiocre sbire du 2 décembre. Maupas ne m’a pas pardonné cette exclusion, et dans ses Mémoires dénués d’intérêt, si ce n’est dans la partie relative au coup d’État, il me poursuit de récriminations malveillantes. L’une de celles sur lesquelles il insiste, c’est que je ne connaissais pas les hommes ; assurément, d’il est un jour où je n’ai pas mérité ce reproche, c’est celui où je me suis privé de ses services.

Au Sénat, en dehors de Persigny, il n’y avait que deux personnes que j’eusse aimé m’adjoindre : Duruy, vers lequel m’attirait notre communauté d’origine républicaine, la haute estime que m’inspirait sa belle vie et la bienveillance affectueuse qu’en toute occasion j’avais trouvée chez lui ; Bonjean, dont personne alors ne savait l’héroïsme, mais dont tous admiraient la forte intelligence, la vaste érudition et la vie digne en tous points des magistrats historiques. L’un et l’autre m’eussent apporté de la force et du prestige, mais l’un et l’autre, à cause de la largeur de leurs opinions religieuses, n’eussent pas été agréés par Daru et ses amis. Tel qu’il était, néanmoins, ce qu’il y avait de parlementaire dans le Cabinet l’emportait sur ce qui manquait, et le Parlement, pouvant à tout instant renverser les ministres, avait véritablement, sur la direction des affaires, toute l’influence que les assemblées peuvent raisonnablement revendiquer.

Jamais, malgré les défectuosités, les libéraux n’ont rencontré une occasion plus sûre de doter définitivement notre pays du bienfait des institutions représentatives, ni les bonapartistes, une heure plus propice pour mettre l’avenir de leur dynastie hors de toute contestation. Les libéraux n’avaient qu’à accepter sans réticence l’Empire, en retour de la liberté qu’ils en recevaient, les bonapartistes qu’à se plier aux exigences de la liberté en retour du dévouement qu’elle leur offrait. Nous étions vraiment les imitateurs de ces grands patriotes, qui, entre les fureurs des huguenots, celles des catholiques et les palinodies de ceux qui criaient à la cour : Vive le roi ! et dans la rue : Vive la Ligue ! soutinrent Henri IV et achevèrent l’Unité nationale, les émules de ces politiques prévoyans qui, en Angleterre, entre l’entêtement des Tories, les arrogances des Whigs, et les folies des Jacobites, restèrent attachés au taciturne Guillaume et fondèrent la liberté britannique.

Une nouveauté de ce Cabinet était la création d’un ministère des Lettres et des Beaux-Arts. Il y avait longtemps que Mérimée