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manquait pas de me rapporter ses propos afin de me piquer. Je répondais en riant : « S’il conduit mes affaires, je ne suis pas tout à fait étranger aux siennes ; car il vient me consulter sur toutes. »

En écrivant ces lignes, il me semble le voir devant moi, petit, mais ni grêle, ni gros, ses cheveux un peu relevés sur l’oreille, le nez fin, les yeux pétillans de malice ou de pénétration ; la bouche à la fois aimable et ironique, recouverte d’une petite moustache ; ayant dans toute son attitude un air martial qui inspirait confiance. Et j’entends sa voix d’autrefois, me disant de son accent décidé : « Puisque vous êtes le dernier survivant d’entre nous, ne vous laissez pas accabler par la fatigue des ans et rendez témoignage à vos amis devant des générations qui, sans vous, les connaîtraient mal. »


VII

Pour être absolument conforme au régime parlementaire, il manquait au ministère du 2 janvier quatre conditions : 1° d’avoir choisi lui-même les ministres de la Guerre et de la Marine ; 2° d’avoir un chef officiel ; 3° de ne pas compter parmi ses membres un président de Conseil d’État n’appartenant à aucune section du Parlement et échappant aux conditions de la responsabilité ; 4° de ne contenir aucun membre de la Chambre Haute. La première dérogation avait été imposée par l’Empereur, comme condition sine qua non. La deuxième et la troisième par Daru et ses amis. La quatrième résultait de la situation transitoire où nous nous trouvions. Le Sénat n’avait joué aucun rôle dans la transformation libérale dont toute l’initiative appartenait au Corps législatif. Deux de ses membres, Maupas et La Guéronnière, haletaient après un ministère, mais ni l’un ni l’autre n’était acceptable. La Guéronnière, homme fort inconsistant, était dans de mauvaises affaires, toujours aux expédiens d’argent. Quant à Maupas, quelque sincère que fût sa conversion aux idées libérales, elle n’effaçait pas son passé de préfet du coup d’État, et certes, c’eût été par une clameur d’indignation que l’opinion publique eût accueilli son entrée dans un ministère composé de victimes du coup d’État. Si j’avais dû choisir parmi les autoritaires convertis, je me serais adressé à Persigny, pour qui j’avais un réel attrait et qui m’eût apporté autrement de