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eu un jour d’éloquence, et, quoique ce jour n’eût pas eu de lendemain, Daru en avait gardé un souvenir ineffaçable ; il nous l’imposa. Parieu était certainement un homme de mérite, très instruit, mais sa parole sourde n’avait aucune prise sur une assemblée. Il avait vu en nous les instrumens de sa rancune ; en réalité, il n’éprouvait que de l’éloignement pour nos idées et peu de bienveillance pour nos personnes. Il comprenait d’ailleurs qu’il ne coucherait pas longtemps dans l’ancien lit de Rouher, au ministère d’Etat. Le Conseil d’Etat ayant perdu, par l’institution d’un ministère responsable et solidaire, son rôle prépondérant dans la préparation et la défense des lois, et n’étant plus qu’un conseil de gouvernement, son chef, logiquement, devait perdre le rang et le rôle de ministre, pour n’être plus qu’un vice-président administratif sous la juridiction du ministre de la Justice. Parieu le prévoyait et, quoique aucun de nous ne se fût occupé de cette éventualité, il avait les mêmes ombrages que si nous la préparions.

Chevandier de Valdrome se rattachait aussi au parti orléaniste par son père appelé sous Louis-Philippe à la Pairie. Il avait parcouru successivement avec éclat la carrière scientifique et la carrière industrielle. Elève éminent de l’Ecole centrale, il avait conquis, par des travaux remarqués, l’honneur d’être correspondant de l’Académie des Sciences et s’était montré administrateur d’élite dans sa direction des manufactures de Cirey et de Mannheim. Il fut fait chevalier de la Légion d’honneur en 1849, pour le courage et la charité qu’il déploya pendant l’épidémie cholérique, autant que pour sa science d’ingénieur. En 1859, il hésita à accepter le poste de député dans le collège électoral vacant de la Meurthe. Décidé à n’être ni servile ni hostile, il craignait que son impartialité ne parût de la tiédeur, et ses critiques de l’animosité, et qu’on ne l’accusât d’être un orléaniste déguisé. Son père, homme probe que j’ai connu, le rassura : « Accepte, lui dit-il, et sers l’Empereur avec autant d’indépendance et de loyauté que j’ai servi Louis-Philippe. » Il fut nommé à la grande majorité qui ne le quitta jamais. L’administration ne l’avait pas fait son candidat officiel, mais ne lui avait opposé personne. A la Chambre, il avait pris tout de suite une situation sérieuse. Envoyé dans la plupart des commissions, écouté avec faveur dans les discussions, en rapports faciles avec les membres de la majorité, en conversation aimable avec ceux de