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L’Empereur n’eut pas en ce qui me concernait la même abnégation que moi-même. Il ne consentit pas à ce qu’un autre parût bénéficier de l’autorité qu’il n’avait entendu donner qu’à moi seul. A la tentative que Daru, pour la seconde fois, faisait pour se tailler un rôle à mes dépens, il répondit par un refus plus catégorique encore que le premier : « Mon cher monsieur Emile Ollivier, je reçois votre lettre de neuf heures et demie et je m’empresse d’y répondre. Vous savez que ma confiance en vous est entière et que j’accepterai tous les hommes qui voudront marcher avec vous ; mais je crois inutile de recevoir le comte Daru. Je n’ai jamais douté de ses sentimens d’honneur, et ce serait en douter que de croire qu’il accepterait d’être un de mes ministres, s’il rêvait le retour d’une autre dynastie. Qu’il soit d’accord avec vous sur les hommes et sur les choses, je l’accepterai comme j’ai accepté hier la liste que vous m’avez présentée. Croyez à mes sentimens d’estime et d’amitié. » Daru dut donc se résigner à recevoir son portefeuille de ma main et non de celle de l’Empereur.


IV

Le 2 janvier à midi, nous nous réunîmes chez Daru. Mes futurs collègues s’étaient déjà partagé les ministères. Chevandier à l’Intérieur leur déplaisait, et ils eussent voulu se passer de Maurice Richard, mais je n’admis pas qu’on sacrifiât les amis qui, dès le premier jour, s’étaient associés à mes efforts. J’exigeai que Chevandier restât à l’Intérieur-et, puisque le ministère des Travaux publics avait été donné à Talhouët, un ministère des Beaux-Arts fut créé au profit de Maurice Richard. Alors Buffet s’assit devant un bureau et, de sa grande écriture, écrivit la liste des ministres du 2 janvier.

Les ministères distribués, il y eut une conversation, plus qu’une discussion, sur le programme lui-même. Les points relatifs à la politique intérieure avaient été déterminés par des déclarations publiques ; il n’y avait pas lieu d’y revenir. Notre politique extérieure au contraire avait été indiquée par un mot vague : Paix. La paix dépendait de notre politique en Allemagne et, sur ce point, je crus devoir échanger encore quelques explications. Je me gardai bien d’exposer les idées que j’avais soumises à l’Empereur et qu’il n’avait qu’à moitié admises sur la nécessité de