Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 39.djvu/541

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

majorité ministérielle. Louvet accepta immédiatement le Commerce, Maurice Richard les Travaux publics. Il ne restait à pourvoir que l’Instruction publique et les Affaires étrangères. J’offris l’Instruction publique à Segris, les Affaires étrangères à Talhouët. Talhouët me répondit : « Vous ne doutez pas de mes sentimens pour vous et combien je serais heureux d’être associé à vos généreux efforts, mais j’ai regretté trop la séparation qui s’est produite entre nous et plusieurs de nos amis et j’ai trop déclaré que je n’accepterais rien tant que nous ne serions pas d’accord ; je ne puis revenir sur un pareil engagement. » « Puisque Talhouët n’accepte pas, dit à son tour Segris, je l’imite. » « Puisque Segris n’entre pas, dit Mège, auquel je proposai la place de Segris, je reste dehors. »

Je me trouvais en présence d’une coalition nouée par le Centre Gauche et certains membres du Centre Droit dans le dessein d’exclure Magne et Chasseloup. Dans cette impasse, je pensai à Duvernois. Il avait, pendant cette crise, montré une intelligence remarquable, une dextérité active et utile ; malgré mon expérience de ses reviremens, je voulus l’élever du sous-secrétariat d’Etat auquel l’Empereur l’avait accepté, au ministère du Commerce. Magne se récria : — « Il serait peu parlementaire d’enrôler un député novice n’ayant encore parlé que pour défendre son élection, validée par 12 voix à peine. » Je tins bon ; Magne aussi. — « Déclarez, me conseilla Girardin, que vous ne ferez pas de ministère, si Duvernois n’est pas agréé. » Duvernois ne méritait pas d’être estimé à ce prix. Je proposai à Magne de nous en rapporter à l’opinion de l’Empereur, que je supposais favorable à mon projet. Nous voilà aux Tuileries, nous exposons le fait. L’Empereur, d’ordinaire si doux et si peu tranchant, avait parfois un ton tellement décisif qu’il excluait même l’idée d’une objection. Il eut ce ton ce jour-là. « Duvernois, ministre ! Oh ! non, » fit-il avec un mouvement indéfinissable. — « Vous entendez, » dit Magne. Me voyant étonné, l’Empereur reprit : « Je porte beaucoup d’intérêt à M. Duvernois, je le crois capable, mais il est jeune, il a le temps d’attendre, et c’est dans votre intérêt que je le refuse : on dirait que je l’ai imposé pour vous surveiller et que c’est une manière de retenir mon pouvoir personnel. » Duvernois ne comprit pas que je n’eusse pas suivi le conseil de Girardin et renoncé à constituer un ministère sans son concours. « Vous-même, m’écrivait-il, qu’allez-vous faire