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Le Centre Gauche qui délibérait fut ahuri, abasourdi de la rapidité de notre résolution. Ne sachant quel parti prendre, il s’arrêta à une adhésion motivée accompagnée de deux restrictions, l’une relative à l’exercice du pouvoir constituant, l’autre à la nomination des maires : il exprima le vœu que le gouvernement fit participer le pays, par ses représentans, à toutes les modifications constitutionnelles, et dit que la désignation du chef de l’Etat ne donnait pas aux communes une participation suffisante au choix de ses magistrats[1].

Aussitôt la signature de notre programme, je me rendis chez l’Empereur, et je lui dis que j’étais maintenant en état de constituer un ministère appuyé sur une majorité.

La publication de ce programme n’avait pas eu seulement pour résultat de dérouter le Centre gauche ; elle avait rendu impossible la situation de Forcade, qui, libéral en thèse générale, était très prononcé contre la plupart des réformes spécifiées. Il était universellement admis qu’il ne pouvait pas être chargé de pratiquer un régime si contraire à celui qu’il avait jusque-là servi, et, plus que jamais, il était question du futur ministère. C’était l’objet des conversations habituelles dans la salle des Pas-perdus. Un jour un Centre Gauche me dit : « Si vous êtes chargé seul de constituer un ministère, ce seul écartera Daru et Buffet. Vous devriez conseiller d’appeler à la fois Daru, Buffet et vous. — Qu’à cela ne tienne, répondis-je, si un rôle prépondérant qui me serait donné est un obstacle à la constitution du ministère, j’y renonce volontiers. » Et j’écrivis à l’Empereur : « Sire, j’ai chargé Pietri de vous annoncer la visite de M. Daru pour demain matin à neuf heures et demie. Insistez pour qu’il prenne un ministère, vous l’obtiendrez. Dès que Votre Majesté sera d’accord avec lui, elle n’a qu’à le prier de s’entendre avec moi, et je ne doute pas qu’en quarante-huit heures, nous ne puissions vous proposer un ministère qui donne satisfaction au pays (8 décembre). »

L’Empereur envoya le lendemain un officier d’ordonnance chercher Daru. Il avait eu de nombreuses relations avec lui en 1850 et en 1851, mais il ne l’avait pas revu depuis le coup d’État et n’en avait reçu qu’une lettre, contenant un refus à une invitation à dîner aux Tuileries. Ce refus était conçu dans de tels

  1. Séance du 8 décembre 1869.