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de postiers, conformément à l’avis de leur conseil de discipline. Mais quoi ! l’instituteur et les postiers avaient fait exactement la même chose : ils avaient, comme représentans de leurs syndicats respectifs, mis leurs signatures au bas d’une lettre insolente adressée à M. le président du Conseil et placardée sur les murs de Paris. La contradiction qui s’est produite entre deux conseils différens, ayant à se prononcer sur des faits identiques, n’est-elle pas une manifestation de plus de l’anarchie morale dans laquelle nous vivons ? Elle donnerait à croire qu’il y a un droit spécial pour les instituteurs, et ceux-ci le pensent sans doute : le ministère a eu un autre sentiment, et nous lui en savons gré. Placé dans l’alternative de gracier les postiers, ou de frapper l’instituteur Nègre, il a opté pour cette seconde solution, qui était la bonne. Le scandale a été grand parmi ceux, et ils sont nombreux, qui regardent les instituteurs comme des personnages intangibles envers lesquels la République n’a que des devoirs. Nous respectons et nous aimons les instituteurs qui s’appliquent correctement à l’exercice de leurs fonctions ; mais il faut bien dire qu’ils sont plus rares qu’autrefois. On a tourné la tête à beaucoup d’entre eux par les flagorneries qu’on leur a adressées ; on a suscité en eux des prétentions sans mesure ; on a soumis leur modestie à une telle épreuve qu’on ne saurait trop admirer ceux qui ont eu le bon sens d’y résister ; on a fait naître enfin un danger que tous les gens perspicaces ont vu venir de loin, mais auquel les autres ont fermé systématiquement les yeux. Tout le monde le reconnaît aujourd’hui ; on s’en effraie ; on cherche à le refouler, et dans cette œuvre tardive à laquelle il semble vouloir se consacrer, nous ne pouvons qu’encourager et soutenir le ministère. Mais comment des esprits moins habitués que les nôtres aux métamorphoses politiques ne seraient-ils pas étonnés, troublés, déroutés, lorsque M. Buisson, par exemple, vient affirmer, avec preuves à l’appui, que plusieurs de nos ministres ont adoré tout ce qu’ils brûlent, et que c’est précisément à cela qu’ils ont dû leur fortune politique ? M, Nègre est révoqué, et il l’est par M. Briand ! Des membres de la Confédération générale du travail sont arrêtés, et M. Viviani est ministre ! « Il me semble, s’est écrié M. Deschanel aux applaudissemens de la Chambre, que ces ouvriers que vous avez fait arrêter doivent préférer cent fois les hommes qui ne leur ont jamais promis ce qu’ils savaient ne pas pouvoir tenir à ceux qui, après les avoir excités, leur mettent la main au collet. »

Quant à M. Clemenceau, il dirait certainement, s’il ne l’avait déjà fait : « Nous sommes dans l’incohérence, restons-y. » Restons-y, si