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agréable : mais cela y est un obstacle. Adieu, God bless you ! Vous m’avez écrit une lettre très spirituelle. Ne croyez pas que la religion fasse sortir de la vie : elle en est le secret ; ce n’est que l’expropriation de soi-même. Adieu, adieu ! Votre raison pour ne pas m’écrire est fort spirituelle : mais, a présent que je vous ai donné une grande raison personnelle à moi de me répondre, parlez-moi ! Adieu.


Une trace de ce séjour de Chamisso à la Roche-sur-Yon se retrouve dans les Souvenirs de Prosper de Barante. « Peu de jours plus tard, arriva, pour vivre quelque temps avec moi, le jeune M. de Chamisso… Il était tout enfant au moment où son père émigrait. Élevé à Berlin, ses études avaient été excellentes, et suivies rapidement de succès littéraires. Mais, devenu Germain, il ne se rappelait même plus le français. Il désirait maintenant une position dans sa patrie : car la Révolution avait complètement détruit la fortune de sa famille. Mme de Staël, à qui il était recommandé, et qui savait que je m’occupais de l’allemand, me le confiait. Il resta deux mois à Napoléon. Je lui dois le peu de connaissance de cette langue que j’aie jamais eu. » Et Chamisso lui-même, d’autre part, toujours prompt à l’enthousiasme, ne parle jamais de Barante qu’en termes assez froids. Évidemment les deux caractères étaient trop différens pour qu’une véritable amitié pût s’établir entre eux.

Toujours est-il que, dès les premiers mois de 1811, nous voyons le jeune poète fixé, de nouveau, auprès de Mme de Staël, qu’il ne quittera plus qu’à la fin de mai 1812, pour aller définitivement demeurer à Berlin. Ses lettres, mises au jour par M. Geiger, nous apportent l’écho de ses sentimens, pendant cette seconde période de ses relations avec son illustre hôtesse. Les velléités amoureuses de l’année précédente ont maintenant disparu : mais c’est pour être remplacées, dans le cœur exalté du poète, par un mélange non moins passionné de pitié et d’admiration. « L’abandonner à présent, écrit-il en septembre 1811, serait véritablement trop dur. Car elle est très malheureuse : et, tout homme qu’elle aime, la malédiction s’abat sur lui. Tous ses amis lui ont été enlevés ; et celui qui a partagé, pendant un temps, son bonheur, ne peut pas se détourner d’elle aussi aisément… Elle estime et apprécie mon caractère. La première fois que j’étais chez elle, je crois bien qu’elle a éprouvé un certain attrait pour moi. Cette fois-ci, je l’ai trouvée engagée dans une liaison qui l’a entièrement éloignée de moi : et, moi-même, je me suis reculé fièrement ; de telle sorte que nous avons été assez froids l’un en face de l’autre. Elle m’accuse d’orgueil ; et il est vrai que je me défends contre elle, comme contre