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hâtivement dessiné son profil, comme l’on avait parlé de mon métier de peintre ; et, à la promenade d’après, je lui ai offert un portrait fort bien réussi. Dans tout cela, elle s’est toujours comportée avec tristesse, mais sans rien refuser ; et moi, toujours simplement galant, jamais passionné. En promenade, je lui ai doucement serré la main : elle n’a point répondu à la pression, mais n’a point retiré sa main… Voilà, cher ami, mon récit, ou ma confession ! Retrouve-toi, là dedans, comme tu pourras ; quant à moi, je me laisse conduire, sans l’éperonner, par la jument boiteuse de ma destinée. Je me demande si je vais, à présent, parler de Maschinka à Cérès, et de Cérès à Maschinka ? Dieu sait que je suis homme à exécuter ce coup de génie. Mais ce qui paraîtrait insensé chez un autre apparaîtra, de ma part, si simplement bon enfant qu’on ne l’en jugera encore que plus insensé. Ma foi, à la grâce de Dieu ! » Ou bien, c’est une jeune poète, Augusta Klaproth, « une fleur de rêve, aspirant à l’éther bleu, mais retenue au sol par un faible ruban ; et le ruban la blesse, et elle se fane tristement. » Chamisso prend l’habitude de se promener longuement avec elle, « s’entretenant de la poésie, et du monde, et de l’homme. » Mille fois ils faisaient le tour du minuscule jardin des Klaproth, « jusqu’au moment où les étoiles commençaient à scintiller. » Et, dit-il, « nous étions libres et confians comme l’air du printemps, et, de même que le monde fleuri du printemps, nous projetions, pour le prochain avenir, les plans d’un sérieux et fructueux travail en commun. » Mais le père et le frère d’Augusta, un peu inquiets de cette intimité, signifient au jeune officier d’avoir à espacer, désormais, ses visites. « Nous étions muets, échangeant des regards ; des larmes roulaient sur ses joues ; elle m’a vivement tendu sa main que, vivement aussi, j’ai pressée sur mes lèvres ; et ainsi, je suis parvenu jusqu’au seuil de la maison. Mais, mon bien cher ami, depuis lors je ne vois plus rien que ces larmes qu’elle a pleurées pour moi ; et rien ne me manque qu’elle seule, et tout me manque. » Ou bien encore c’est la belle, sentimentale, et complaisante jeune femme d’un libraire berlinois, Sophie Sander. « C’est une créature merveilleuse et divine, comme d’ailleurs toutes les femmes que j’ai connues et qui m’ont attiré. Son malheur, elle le supporte avec ironie, et peut-être en a-t-elle retiré un peu d’amertume ; mais je la crois naturelle, et, en plus des dons très hauts qui peuvent captiver un Allemand, elle possède encore tous ceux qui peuvent captiver un Français. Me comprends-tu ? On peut, auprès d’elle, plaisanter et rire des choses les plus terribles, tout en sentant très profondément ce qu’elles ont de terrible. »