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La Comédie-Française, doit être surtout un conservatoire de notre tradition dramatique ; elle est aussi, comme on dit, un musée. Il est indispensable qu’on y garde quelques spécimens du drame romantique : Hernani et Ruy Blas y sont très bien à leur place. Convenait-il d’y adjoindre Marion de Lorme ? L’épreuve ne pouvait être faite qu’aux chandelles. Longue, traînante, incohérente, la pièce ne rachète pas ses défauts par une forme exceptionnelle. Les vers éclatans et les grandes images y sont plus rares que dans les autres drames en vers de Victor Hugo. Le temps, au lieu d’en effacer les défaillances, d’en absoudre les erreurs et d’en pallier les taches, en a accentué les bizarreries et creusé les rides.

Ce qui contribue encore à prouver combien le genre a fait son temps, c’est qu’il ne trouve plus d’interprètes. Marion de Lorme est admirablement montée ; peut-on dire qu’elle soit encore jouée dans le mouvement ? Il y faudrait de la fougue, de l’emportement, de la folie : les artistes, d’ailleurs excellens, qui ont tous donné et fait de leur mieux, n’y ont su mettre que de l’expérience, de la conscience, de la probité, de la sagesse. Ils sont comme nous : ils n’ont plus la foi. Cela dit, il faut rendre justice à chacun, et tenir compte des efforts et du talent. Mme Bartet a montré beaucoup de courage en s’attaquant à un rôle qui est si évidemment en dehors de ses moyens. Elle a été infiniment gracieuse pendant tout le premier acte, et peut-être n’avait-elle jamais été plus jeune, plus séduisante, plus vraiment exquise. Mais dès le second acte il faut crier, gesticuler, s’agenouiller, se rouler à terre. En dépit de toute sa bonne volonté, Mme Bartet est restée une artiste de goût, de mesure et de sobriété. M. Mounet-Sully, qui fut Didier, est devenu Louis XIII. Il ne peut s’empêcher de donner au personnage de la noblesse, de la grandeur, une tournure épique. M. Paul Mounet a lancé avec une belle grandiloquence la fameuse tirade de Nangis. M. Albert Lambert avait la tâche pénible de personnifier Didier ; il s’est acquitté de ce triste devoir en homme qui a la vue nette des sottises qu’il débite et qui s’en excuse ; il a sauvé l’honneur. AJ. Leloir est un Laffemas pittoresque. Les applaudissemens ont été surtout à M. Le Bargy qui a dessiné de façon très élégante la silhouette de Saverny, à M. Truffier, qui a été un « gracieux » très amusant, et surtout à M. Berr qui a prêté un relief extraordinaire au personnage de l’Angely, tiré à lui toute l’attention et obtenu le grand succès de la soirée.


Comment se plaindre de trouver des formes de sensibilité un peu