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Fromentin, sans en être dupe, ne les contredit pas : il se Rome à donner de toutes ces choses littéraires une raison pittoresque et une formule technique. Et d’autre part, Rembrandt, qui avait commencé, au XVIIe siècle, par être tenu pour une doublure un peu grossière de Rubens, mais un coloriste parmi les autres, finissait, dans cette curieuse évolution de sa mémoire, par se détacher complètement de tout le reste des peintres. Fromentin achevait, par des raisons de métier, de le fortifier dans cette situation singulière, d’en faire un être à part, une exception, une espèce de météore et de « solipse. »


V

On voit le chemin parcouru en deux siècles : toutes les opinions primitives sont renversées. Pas une ne demeure intacte. Chacune des qualifications qu’on avait données à Rembrandt est finalement remplacée par la qualification contraire. Ce truand, ce « grotesque » ou cet excentrique du début, est devenu le grand magicien de l’amour et le prince du mystère ; ce peintre et ce coloriste se transforme en poète taciturne et solitaire de l’ombre ; ce matérialiste, ce trivial est le grand spiritualiste et le profond connaisseur de la beauté morale. Et enfin ce failli, ce demi-paria, si longtemps dédaigné, incompris même de ceux qui disaient l’admirer, est devenu peu à peu le plus grand nom de la peinture.

Si l’intérêt qu’excite une œuvre se mesure à la somme des travaux qu’elle fait naître, on peut dire que, depuis trente ans, il n’y a pas d’artiste qui le dispute à Rembrandt. D’autres sont peut-être consultés davantage. Franz Hals et Velasquez ont été certainement plus écoutés des peintres. Mais personne ne s’est vu plus étudier que Rembrandt. Depuis le travail de Vossmaer et l’ouvrage capital de M. Émile Michel, c’est une bibliothèque qui serait à énumérer, si l’on se proposait de faire une bibliographie du maître. Une Revue spéciale s’est créée pour les questions d’art hollandais, et à moitié remplie de documens nouveaux sur Rembrandt. Chose plus utile encore : un double Corpus, édité par les soins des docteurs Bode et H. de Grodt, réunit chronologiquement les reproductions de toutes ses œuvres subsistantes, peintures et dessins. Le dernier volume vient de paraître cet été. Jamais admiration n’a été plus ardente, ni