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raison du beau, qu’au fond Rembrandt n’est pas plus peintre, ni d’une autre manière, dans ses toiles que dans ses eaux-fortes. Ici et là, l’esprit et l’effet sont les mêmes. Et loin d’y avoir union, il y a contradiction intime entre ces deux élémens traditionnels de l’art du maître, le coloris et le clair-obscur.

Un second point sur lequel tout le monde s’accordait, c’est que Rembrandt, par la nature de ses sujets et de son style, était un réaliste. Mais il suit du principe posé par Fromentin qu’il en est justement le contraire. Cet esprit, qu’on croyait tout occupé du monde physique, est en réalité plein de métamorphoses. C’est une sorte d’alchimiste, un chercheur d’absolu, qui se sert du rayon et de l’ombre pour obtenir l’évanouissement complet des apparences, et la transmutation du fait en vision. Le monde réel lui apparaît tel qu’à son docteur Faust se montre le chiffre mystérieux, enveloppé de flammes et d’une cabalistique chevelure de lueurs. Cette matière rayonnante se déforme comme un fer se lord et s’amollit au feu. A force de décomposer, de réduire, d’éliminer les phénomènes, de condenser les choses éparses, il arrive à donner aux choses de ce monde on ne sait quel air de l’autre, qui fait pâlir la vie à côté de ce songe étrange de la vie. Ce peintre n’est qu’un abstracteur, un « curieux de l’être en soi. » Ne le comparez à aucun autre, il ne ressemble à personne, ni à Rubens, ni à Titien, ni à Véronèse, ni à Giorgione, ni à aucun des artistes qui n’ont été que des artistes, bien qu’il soit leur égal, et que dans le surnaturel il ait été aussi fort, aussi solide et aussi mâle que n’importe qui dans le réel. Mais il est seul de son espèce, et sans équivalent dans aucun art plastique : c’est un « idéologue, » c’est-à-dire un homme « dont le domaine est celui des idées et la langue celle des idées. »

Ainsi Rembrandt, parti pour ainsi dire du réalisme pur, s’achevait avec Fromentin en pur visionnaire. Etait-il, du reste, le penseur qu’on disait, surtout le nabi mystique et le rêveur humanitaire ? Avait-il vraiment bien conçu le christianisme éternel et la religion de la souffrance humaine ? La théorie du clair-obscur répondait à tout cela. C’est ce « bain d’ombre, » où toutes les formes apparaissent à l’état de phosphorescences, c’est le jour incertain, la lumière de cave ou de geôle où se complaît le maître, ce sont toutes ces demi-ténèbres qui avaient permis les interprétations touchantes et les méprises sentimentales. Tout ce crépuscule invitait aux hypothèses profondes.