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que notre maître Ferdinand Brunetière n’en a indiqué les raisons. Certaines pages sont célèbres. Et il n’y a rien de plus à dire de quelques-unes d’entre elles, comme la description des Rembrandt du Louvre, sinon qu’elles sont dignes des modèles. Sur la personne de l’artiste, ses habitudes, sa vie, on trouvera peut-être autre chose, on ne trouvera pas mieux. C’est le dernier mot du portrait.

Ce sont là les morceaux les plus accomplis de cette merveilleuse étude. Mais ce ne sont ni les plus neufs ni les plus importans. Le centre de l’enquête est formé par les quelque soixante ou soixante-dix pages consacrées à l’analyse de la Ronde de Nuit. De cette longue investigation, de cet interrogatoire, qui devient par instans un véritable réquisitoire, résultent deux idées audacieuses et essentielles.

Jusqu’alors, et depuis deux siècles, pour ses critiques comme pour ses admirateurs, le nom de Rembrandt était synonyme de coloris. Toutes les disputes auxquelles il avait donné lieu ne roulaient que sur ce point : de savoir quel était dans l’art le rôle et le rang de la couleur. Le réalisme de Rembrandt et toutes ses conséquences n’étaient que des corollaires de ce premier principe. C’est comme coloriste que les académiques l’avaient proscrit de son vivant, c’est comme tel que les « Rubénistes » l’installèrent dans notre école, que David le chassa de la République, et que le romantisme l’y ramena en triomphe. Le clair-obscur même, où excellait l’artiste, était, aux yeux de tous, la supériorité la plus évidente de sa couleur : tant ces deux parties de son art semblaient se tenir entre elles et faire corps ensemble ! Fromentin rompit hardiment avec cette opinion séculaire. Pour lui, non seulement Rembrandt n’est pas, comme on l’a dit, the most perfect colourist that ever existed, le plus parfait des coloristes qui aient jamais vécu, mais il ne l’est même pas du tout au véritable sens du mot. C’est un luminariste, — tel est le néologisme que forge le critique pour définir le maître, — c’est-à-dire un homme qui sacrifie tout systématiquement à la lumière, vraisemblance, pathétique, naturel, et jusqu’à la couleur, dans l’espoir qu’en revanche la lumière lui rendra au centuple, en puissance fulgurante et en transfigurations, les énormes sacrifices qu’il lui a faits d’abord. Il peint avec de la lumière comme d’autres avec la couleur ou la forme. File est si bien pour lui la condition de toute chose, la créatrice unique, l’indispensable