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des Anciens et des Modernes, où la notion de progrès finit par renverser l’idée de tradition. On observe dans les arts une crise toute semblable : les peintres, eux aussi, eurent leur querelle des Anciens. Pendant trente ans, on se disputa entre « Rubénistes » et « Poussinistes, » entre fanatiques de la Vie de Marie de Médicis et champions des Sept Sacremens. Finalement, la victoire demeura aux premiers. De toutes parts la pensée classique recule en désordre à la fois. A la mort de Le Brun, en 1692, sa déroute est déjà complète. Watteau est un sujet de Louis XIV : il lui survit six ans, tout juste. Toute cette fin de règne ressemble à une débâcle, à un immense dégel. Une impatience de jouir, un dissolvant de volupté, en ces années de deuil et de déclin du régime, se répandent dans l’air. On dirait un printemps qui rompt sa rigoureuse écorce et sa gaine d’hiver. Le vieux roi même se déride à ce frisson de renouveau. Lorsqu’on lui soumit les projets des peintures pour l’Orangerie, à Versailles, il les renvoya aux auteurs avec celle note : « Tout cela est trop sérieux. Je veux de la jeunesse dans tout ce qu’on fera. » Et lui aussi, il abdiquait !

Ce qui fit de Rembrandt le maître un peu inattendu de cette bande d’épicuriens, c’est qu’il était merveilleusement peintre. Jusqu’alors l’école française n’était qu’une école de dessin. Elle s’apercevait tout à coup que « peindre » signifie se servir de couleurs. Or, la couleur est l’élément sensuel de la peinture. Mettre dans l’exécution l’essence du plaisir esthétique, c’est probablement être dans le vrai. Mais c’est faire consister ce plaisir dans la sensation agréable. Les classiques en auraient rougi. Puis, ce que gagne d’activité la sensation ou la couleur est pris aux dépens des idées. Tout l’art du XVIIIe siècle trahit une dépression de la pensée. Après l’immense effort de la raison classique, on arrive à une lassitude infinie de l’esprit, à une sorte d’anémie cérébrale. La frivolité du jeune siècle est le grand ouf ! qui suit ce surmenage d’idéal. La peinture décorative n’est plus qu’une apothéose d’opéra ou une grande charade. Et la vogue du « genre » commence. On ne demande plus aux actions si elles sont illustres. La nuance se perd entre ce qui est historique et ce qui ne l’est pas. Comme l’objet de l’art n’est plus l’expression des idées, que la peinture donne du prix à tout ce qu’elle imite, il s’ensuit que le sujet n’a plus grande importance. Même une certaine humilité n’est pas faite pour déplaire.