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connaît ce tableau, peint pour l’Hôtel de Ville par I. de Schwanenburg, le père du maître de Rembrandt : l’allégorie s’y mêle de la façon la plus baroque à une apothéose du commerce des draps. Voilà tout Leyde. Ses draps l’enrichissent, comme M. Jourdain, mais son argent lui sert à faire figure « libérale. » C’est elle qui, au plus fort des guerres espagnoles, après son siège magnifique, ayant le choix d’une récompense, demande une université. Elle l’obtint ; il lui en est toujours demeuré quelque chose. De tous les professeurs qui enseignèrent dans ses chaires, de toute l’éloquence qui l’a bercée depuis tant d’années, il lui est venu à la longue on ne sait quel air bas bleu. Elle conserve son quartier Latin, et « latin » n’est pas un vain mot : les garnis pour étudians persistent à s’y annoncer cubicula locanda. Il subsiste même, dit-on, une savante gargote où le garçon s’appelle puer et où, sur les menus, le veau et le poulet se déclinent encore imperturbablement comme des « exemples » de Lhomond.

La peinture ne pouvait être là ce qu’elle était ailleurs. En effet, l’école de Leyde est toute différente de celles de Delft ou de Haarlem, bien qu’il n’y ait entre ces trois villes qu’une demi-heure de trajet. C’est un art universitaire. Rien peindre ne lui suffit pas, il y ajoute des finesses et des sous-entendus. Il se souvient qu’il a des lettres. Tous les genres nationaux, à Leyde, se teintent d’une nuance de pédantisme. Il n’est pas jusqu’à la naïve nature morte qui ne se mette en devoir de faire la morale : elle ne peut pas représenter une pipe auprès d’un pot à bière, sans qu’un sablier ou un crâne ne viennent, à côté, prêcher le néant des choses ; cela s’appelle une Vanitas, et cela devient un sermon. Le « genre » proprement dit tourne à la leçon, à la satire. Jean Steen, qu’on prend pour un cynique, un ivrogne et un débraillé, est à coup sûr un moraliste, quelquefois un sentimental, à ses heures presque mystique, Gérard Dow même n’est pas exempt de subtilités. On en relèverait la trace chez Pieter de Hoog. Quant à Rembrandt, leur aîné et leur maître à tous, on peut dire qu’il en fourmille. Personne n’a déchiffré sa Concorde de Rotterdam, et l’estampe du Phénix est un insoluble rébus. Et je ne parle pas de ses pièces « apocalyptiques ! » En revanche, dans toute son œuvre, on ne citerait pas une page ayant le sens formel d’une scène de genre. Danaé, Diane et Actéon, le Rapt de Proserpine, Ganymède, voilà ses sujets ; c’est encore le Serment de Cl. Civilis,