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Vous êtes infidèle et pleine de danger !
Parfois, désaltérant le plus vil étranger,
Perfide à qui vous hait, peu sûre à qui vous aime,
Vous changez, et toujours vous paraissez la même.
Ce qui demeure ou fuit, par vous est reflété ;
Vous aimez tour à tour la nuit ou la clarté,
Mais, de tout ce qui vit source profonde et vive,
Comme la femme, il sied que vous soyez captive,
Et que pour vous garder, subtils, prudens ou fous,
O belle eau, qui semblez dormir ! les Turcs jaloux,
Sous le voile de fer ajouré d’un grillage,
Dérobent la fraîcheur de votre clair visage.


LE MONT ATHOS


O beaux lieux sans amour, remplis d’un frais silence,
Vous plaisiez à mon âme et m’étiez défendus !
Et le couvent, sa cour d’ombreuse somnolence,
Les cèdres, les cyprès, je ne les ai pas vus !

Je n’ai pas débarqué sur la petite grève,
Ni gravi le sentier jusqu’au pied de ces murs
D’où s’exhale toujours le même et très vieux rêve
Qui parfume les cœurs solitaires et purs.

Je n’ai pas vu briller au soleil les eaux vives,
Je n’ai pas vu flotter dans l’air les longs cheveux
Des moines simples qui vont presser les olives
Ou qui fauchent les foins au fil des aciers bleus.

On ne m’a pas montré cet herbier séculaire
Où survivent les fleurs qu’ont vu fleurir les morts,
Ni les nouvelles fleurs qui germent de la terre
Que ces morts, maintenant, fécondent de leurs corps.

On ne m’a pas donné de naïves images,
La confiture douce et l’eau froide à la fois ;
Mais j’ai goûté le vent plein d’arômes sauvages
Qui m’apportait l’odeur des herbes et des bois.