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avec son fusil, est le maître de la vie et de la propriété ; s’il lui plaît de s’installer sur une terre, dans une maison, le paysan n’a qu’à déguerpir, heureux s’il s’en tire la vie sauve. En Vieille-Serbie, ils s’avancent de plus en plus, chassant et spoliant l’ancienne population serbe, la détruisant en détail : l’Autrichien, si un jour il s’avisait, comme on lui en prête parfois le désir, de venir « mettre l’ordre » sur la route de Kossovo et d’Uskub, trouverait sur sa route l’Albanais oui lui ferait une dangereuse guerre de guérillas.

Nulle part mieux qu’à Rome on n’est renseigné sur le rôle important que pourraient prendre les Albanais en cas de complications politiques ; les côtes de l’Albanie s’allongent, sur l’Adriatique, en face de la péninsule, et l’Italie, depuis longtemps, cherche à y nouer des intelligences et à s’y créer une clientèle. Déjà, parmi les Albanais, des tentatives de propagande nationale ont été faites. L’initiative est venue généralement d’Albanais habitant hors de leur pays, parfois d’étrangers ; on cite même des candidats au trône d’Albanie. Pourquoi, disent ces initiateurs du nationalisme albanais, laisserions-nous les Grecs et les Bulgares se partager la Macédoine sans réclamer notre part ? Qui donc pourrait invoquer en Macédoine des droits plus anciens que les nôtres ? Ne sommes-nous pas les descendans de ces Pélasges qui occupèrent jadis toute la péninsule et dont les anciens Grecs et les Macédoniens n’étaient que des rameaux ? Achille et Alexandre n’étaient pas des Grecs, c’étaient des Pélasges, des Albanais ; mais Ulysse et Thersite étaient des Grecs ! Les héros de Souli, les Arnautes indomptables qui versèrent leur sang dans la guerre de l’indépendance, n’étaient-ils pas aussi des Albanais ? Chaque fois qu’ils se sont trouvés en face des Alba_ nais, les Grecs n’ont pas pu résister. Et quant aux Slaves, qu’ils soient Serbes ou Bulgares, ils ont toujours été les serfs des Albanais. Pourquoi donc ce peuple qui est nombreux, qui est brave, laisserait-il à d’autres ces belles plaines de Macédoine où ont vécu ses ancêtres pour se confiner dans ses nids d’aigle de la montagne ? Cette propagande nationale ne paraît pas avoir fait encore beaucoup d’impression sur la nature sauvage et particulariste des Albanais ; il n’en est pas moins certain que, si une guerre venait à éclater dans les Balkans, l’Albanais représenterait une force inconnue et redoutable que chacun chercherait à mettre dans son jeu.