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cultes, pas de langue commune, plusieurs dialectes très différens, aucune culture littéraire, les hommes et les femmes presque tous illettrés, une vie et des habitudes de sauvages, à la fois bergers, chasseurs et brigands, ce sont là des conditions qui rendent très difficile la constitution d’un peuple conscient de son unité et le succès d’une propagande nationale. Les Albanais ont cependant un sentiment très vif de leur solidarité et de leurs intérêts communs, sans distinction de culte ni du dialecte. En 1879, quand le traité de Berlin attribua au Monténégro un canton peuplé d’Albanais, ils constituèrent une « Ligue albanaise, » et accoururent tous en armes, les chrétiens comme les musulmans, à la rescousse de leurs frères menacés. Les Albanais musulmans en prennent à leur aise avec les prescriptions du Coran. Ils doivent le service militaire au Padischah, mais ils se mettent sans scrupule en révolte contre lui dès qu’ils croient avoir quelque sujet de plainte. Les fonctionnaires turcs qui résident dans les sandjaks albanais sont sans autorité et n’osent guère sortir de leur konak. L’Albanais ne paie que l’impôt qu’il veut bien payer, mais les voyageurs rapportent qu’il acquitte avec une religieuse exactitude la dîme sur les troupeaux. Quelles que soient leurs incartades, les Albanais sont sûrs de l’impunité : la garde albanaise qui veille sur les jours du Sultan, dans Yildiz-Kiosk, leur sert de la plus efficace des sauvegardes, car elle protège, mais elle pourrait menacer.

Le Sultan a besoin des Albanais ; il recrute parmi eux d’excellens soldats ; au milieu des populations chrétiennes de Macédoine, ils sont un contrepoids nécessaire ; leur présence accroît le désordre et aide à la confusion. S’ils ne prétendent pas encore dominer toute la Macédoine, il n’en est pas moins vrai que la question macédonienne ne saurait être résolue sans tenir compte de ces dangereux montagnards. Leur masse de un million à un million et demi d’habitans environ (personne ne s’est jamais avisé de les compter ! ) s’interpose comme un écran très opaque entre la Macédoine et l’Adriatique ; ils s’avancent vers l’Est, poussant en avant de petits groupes, jusque dans la vallée du Vardar ; au Sud, ils descendent jusqu’en Epire, où ils sont très hellénisés, et jusque dans la vallée de la Bistritza ; les cartes ethnographiques bulgares elles-mêmes signalent leur présence par de petites taches, isolées comme des îlots ou groupées en archipel, jusqu’autour de Monastir et d’Uskub. L’Albanais,