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seraient qu’au nombre de 3 400 pour un chiffre total de 572 millions de revenus, soit 2 et demi pour 100 de l’ensemble des revenus des Français. Ce classement officiel des revenus confirme, ce que l’on savait d’ailleurs déjà, combien les revenus en notre pays sont morcelés et en général modiques, ceux un peu considérables étant une très rare exception. Nulle part, la pyramide des revenus n’a plus qu’en France une aussi large base et une pointe aussi effilée. Cette classification des revenus dans notre pays et la rareté des très gros revenus, d’autre part le grand nombre d’étrangers opulens que notre impôt personnel et progressif sur le revenu ne saurait atteindre, car au pis aller ils s’y déroberaient par la fuite, sont des argumens décisifs contre l’introduction chez nous de cet impôt brutal et inégal, qui, dans une démocratie sans contrepoids, devient inévitablement un impôt spoliateur. Comment, en effet, si cette taxe était établie, les 481 200 personnes ayant plus de 5 000 francs de revenu ou les 187 200 ayant plus de 10 000 francs, à plus forte raison les 64 200 ayant plus de 20 000 francs de revenu ou les 14 200 en possédant plus de 50 000 francs ne deviendraient-elles pas rapidement la tête de Turc sur laquelle s’acharnerait la fiscalité ? On le voit bien déjà, la Commission des Réformes fiscales, tout en maintenant à 9 ou 11 pour 100, suivant les cas, l’impôt cédulaire sur les valeurs mobilières au porteur a porté jusqu’à 8 pour 100 l’impôt complémentaire qui s’y ajoute, soit un prélèvement total pour le lise de 17 à 19 pour 100. C’est déjà là une véritable confiscation ; mais l’on ne s’arrêterait pas dans cette voie ; l’on irait à 30, à 40, à 50 p. 100, et le contribuable opulent serait forcé de s’expatrier. Le porte-voix parlementaire des socialistes, M. Jaurès, ne cache pas la voracité insatiable de son parti : « Elle a (la réforme de M. Caillaux), dit-il, pour la classe ouvrière un double et grand intérêt. D’abord, quand une comptabilité exacte des revenus capitalistes et bourgeois sera enfin dressée, il sera possible de calculer plus sûrement quels sacrifices peuvent être demandés aux classes possédantes et privilégiées pour alimenter dans l’intérêt des travailleurs les œuvres de solidarité sociale[1]. » Voilà l’œuvre en préparation : dresser une comptabilité exacte des revenus capitalistes et bourgeois, afin de déposséder sûrement les possédans.

  1. Passage reproduit par le Matin du 16 février 1907, p. 2, 5e colonne.