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manifestement il légitime ; les catégories indûment frappées ne sont pas tenues en conscience de le subir.

Les hommes qui, dans l’humanité, sont l’incarnation de la morale la plus haute ont reconnu ce principe. Dans l’antiquité, Socrate ; Xénophon cite à propos de lui ce mot qui, prononcé il y a plus de deux mille ans, est d’une actualité saisissante : « Et si la multitude dans les États démocratiques prend vis-à-vis des riches des mesures oppressives, diras-tu que c’est là une loi[1] ? » La réponse est certaine : ce n’est pas là une loi, au sens philosophique et moral du mot ; par conséquent, cela n’oblige pas la conscience : on peut être contraint par la force ou par la crainte de la subir ; mais aucune obligation morale ne vous y assujettit. On est libre, si on le peut, de s’y soustraire ; les déclarations, les sermens même, exigés à ce sujet, sont sans valeur ; le contribuable est dans ce cas, à l’égard du lise spoliateur, dans la même situation où il se trouverait vis-à-vis d’un cambrioleur quelconque.

Si les impôts abusifs établis sur les riches n’avaient ainsi, aux yeux des sages de l’antiquité, aucun des caractères que doit avoir la loi pour être moralement impérative, les modernes n’ont pas une autre opinion à cet égard ; il suffit de rappeler le terme de « voleries graduées » par lequel Stuart Mill, non moins philanthrope, cependant, que philosophe, et assez enclin à certaines solutions socialistes, définissait le taux ascensionnel de l’impôt progressif.

L’impôt progressif est donc une violation de l’équité et du droit positif, lequel exige, pour la légitimité de l’impôt, le consentement du contribuable. On peut alléguer que certaines situations ou très pauvres ou très modiques comportent, en équité, soit l’immunité complète de certains impôts, soit des modérations de leur taux. Il y a d’abord le célèbre adage que, où il n’y a rien, le Roi perd ses droits ; mais on va au-delà et l’on dit que, où il y a peu il peut être humain et sage de renoncer à une perception à la fois insignifiante et très onéreuse. Soit, il est possible, par une concession, mais qui doit être contenue dans des limites assez étroites, d’admettre l’impôt dégressif. Nous avons montré maintes fois qu’il y a une différence considérable et très nette entre l’impôt dégressif et l’impôt

  1. Œuvres complètes de Xénophon, traduction de Talbot, tome Ier, p. 12.