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Segris n’étant pas à Paris, je le priai par télégraphe de venir. Il me répond qu’il ne le peut pas, et que « s’il s’agit d’une combinaison ministérielle quelconque, sa raison se refuse à en voir une acceptable et possible avant la réunion des Chambres et avant la vérification des pouvoirs. »

Quel parti prendre ? Ne tenir nul compte des exigences de l’opinion et, après avoir constaté le refus de mes amis, entrer résolument aux affaires avec Forcade, Clément Duvernois, Maurice Richard et Chevandier ? Duvernois me le conseillait : « Chargé de préparer la formation d’un cabinet, vous aviez trois points à considérer : 1° Ménager la situation du tiers-parti ; 2° Viser à un effet d’opinion ; 3° Former un ministère capable. La première condition est remplie, et vous êtes dégagé par l’offre de trois portefeuilles. La seconde, faites-moi le plaisir de comprendre que vous la remplissez à vous seul, vos honorables amis ayant fort peu de notoriété ; vous la remplissez d’autant mieux que Forcade quitte l’Intérieur ; les journaux ne demandent rien de plus. Quant à la troisième, il me semble que vous la rempliriez pleinement si, avec un bon garde des Sceaux, vous réunissiez Magne, Forcade et Ollivier. Il me semble que ce quadrilatère pourrait faire assez bonne figure. »

Je ne me rendis pas. Si mes amis avaient refusé de m’aider à reconstituer un ministère en dehors de Forcade à cause de l’excès de leurs exigences ou de dissentimens sur le programme, je n’aurais pas hésité à organiser sans eux une combinaison de la nature de celle que m’indiquait Duvernois. Je ne pouvais, sous peine de me déconsidérer, m’associer, sans leur concours, le ministre des dernières candidatures officielles.

J’allai chez Forcade lui annoncer l’insuccès de mes tentatives et lui dire mon impossibilité de faire un ministère avec lui. Il en parut médiocrement fâché. Je lui prédis qu’il tomberait comme Rouher ; il n’en crut rien. Après l’avoir quitté, j’écrivis à l’Empereur : « Sire, j’ai vu Forcade. Je lui ai exposé la situation. Il a compris que je ne pouvais entrer seul ou à peu près sans avoir l’air de me rendre coupable d’une défection, et qu’il fallait, de toute nécessité, reprendre ma liberté d’action pendant la vérification ou à propos des interpellations. Il est, du reste, parfaitement décidé à continuer son œuvre de dévouement, à affronter la Chambre, et il est sûr de la majorité. Il ne reste donc qu’à clore la crise. Le ministère ira devant la Chambre tel qu’il est